Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/5

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part, lui avait expliqué qu’il avait été changé en nourrice, et que cette substitution ayant été reconnue, il serait désormais obligé de travailler pour vivre. Le fou n’en avait tenu aucun compte et s’était croisé les deux bras, attendant que ses domestiques lui vinssent, comme d’habitude, apporter son dîner. Mais, à l’heure accoutumée, les domestiques n’étant pas venus, la faim avait commencé de se faire sentir ; néanmoins, le Castelvetéranois avait tenu bon et avait passé la nuit à appeler, à crier, à frapper le long des murs et à réclamer son dîner ; tout avait été inutile, les murs avaient fait les sourds, et le prisonnier était resté à jeun.

Le matin, le gardien était entré vers les neuf heures, et le fou lui avait demandé impérieusement son déjeuner. Le gardien lui avait alors tranquillement demandé un ou deux écus pour aller l’acheter en ville ; l’affamé avait fouillé dans ses poches, et n’y ayant rien trouvé, il avait demandé du crédit ; ce à quoi le gardien avait répondu que le crédit était bon pour les grands seigneurs, mais qu’on ne faisait pas crédit à de la canaille comme lui. Alors le pauvre diable avait réfléchi profondément, et avait fini par demander au gardien ce qu’il fallait qu’il fît pour se procurer de l’argent. Le gardien lui dit que s’il voulait l’aider à porter au grenier le bois qui était à la cave, à la douzième brassée il lui donnerait deux grains ; qu’avec deux grains il aurait un pain de deux livres, et qu’avec ce pain de deux livres il apaiserait son appétit. Cette condition avait paru fort dure à l’ex-aristocrate ; mais enfin, comme il lui paraissait plus dur encore de ne pas déjeuner après s’être passé de dîner la veille, il avait suivi le gardien, était descendu avec lui à la cave, avait porté douze brassées de bois au grenier, avait reçu ses deux grains, et en avait acheté un pain de deux livres qu’il avait dévoré.

À partir de ce moment, la chose avait été toute seule. Le fou s’était remis à porter son bois pour gagner son dîner. Comme il en avait porté trente-six brassées au lieu de douze, le dîner avait été trois fois meilleur que le déjeuner. Il avait pris goût à cette amélioration, et le lendemain, après avoir passé une nuit parfaitement tranquille, il s’était mis à faire la chose de lui-même.