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le caucase

un jardin plus ou moins grand à sa ceinture, et se ménageant de larges rues et d’immenses places.

Ces maisons sont généralement en clayonnages entremêlés d’argile, blanchis extérieurement avec de la chaux.

Celles des princes, des seigneurs et des riches sont en bois.

L’irrégularité même de Koutaïs fait de Koutaïs une ville des plus pittoresques et des plus charmantes. Pendant l’été elle doit, comme ombrages et ruisseaux, rivaliser avec Noukha.

Nous étions descendus dans une auberge allemande, où nous retrouvions une apparence du confort européen.

Nous y avions soupé, nous y avions couché, lorsque, vers neuf heures du matin, l’aide de camp du gouverneur, le colonel Romanoff, se fit annoncer.

Il venait, au nom du gouverneur et au sien, s’informer s’il pouvait nous être bon à quelque chose.

Après les fatigues que nous avions éprouvées, il pouvait nous être bon à tout, et d’abord à nous épargner de nouvelles fatigues, en nous renseignant sûrement sur le chemin que nous avions à parcourir jusqu’à Maranne.

La réponse du colonel Romanoff ne fut aucunement rassurante ; selon lui, il nous était impossible de continuer de voyager en traîneau.

Il fallait voyager à cheval.

Pendant sept ou huit verstes la route était assez bonne, mais à cette distance de Koutaïs elle se défonçait complétement, et ce qu’il y avait de mieux à faire, c’était, à partir de ce moment, de suivre le lit caillouteux d’une petite rivière.

C’était le seul chemin praticable pendant douze ou quinze verstes.

Ensuite nous prendrions à travers une forêt, — une des plus grandes forêts de l’Iméritie, — et nous arriverions à Goubiskaïa.

C’était l’affaire de nos hiemchicks de nous tirer de cette forêt, laquelle n’a point de chemin sérieusement tracé ; mais avec eux, qui font le trajet deux ou trois fois la semaine, nous n’avions pas crainte de nous égarer.

En attendant, je désirais faire un pèlerinage au monastère de Gaëlaëth, qui renfermait, nous avait-on assuré, une des anciennes portes de fer de Derbent.

Pour ce pèlerinage, le colonel Romanoff se mettait à notre disposition ; il avait dans son écurie autant de chevaux que nous en avions besoin, et s’offrait à nous servir de guide.

Il va sans dire que nous acceptâmes.

Pendant que l’on préparait les chevaux, nous visitâmes la ville.

La ville de Koutaïs, c’est son bazar.

Dans toutes les villes d’Orient, le bazar c’est le cœur, c’est-à-dire la circulation et la vie.

Tout ce qu’il y a de mouvement se groupe autour du bazar.

Celui de Koutaïs était un des plus pauvres que nous eussions encore vus ; je n’y trouvai que deux choses remarquables :

Une médaille en or d’Alexandre ;

Une paire de chandeliers faits avec les deux serres d’un aigle et montés en argent.

Tout le reste était inférieur à ce que nous avions vu à Derbent, à Bakou, à Noukha et même à Tiflis.

Le bazar de Koutaïs n’eut donc aucune prise sur notre bourse.

À propos de bourse, plaçons ici un petit avis à l’adresse de ceux qui voyagent au Caucase.

En Russie, la monnaie d’or et d’argent est à peine connue, et elle n’existe que dans les coffres de l’État.

C’est un papier-monnaie qui a cours.

Ce papier-monnaie est divisé en coupons d’un rouble, trois roubles, cinq roubles, dix roubles, vingt roubles, cinquante roubles, cent roubles.

Déjà en Russie on a grand’peine à changer ce papier, sur lequel il y a cependant qu’à première réquisition toute caisse publique devra le convertir en argent.

Personne n’y a confiance. À l’exhibition d’un rouble-papier sur lequel on doit vous rendre cinquante kopecks, chacun répond : Je n’ai pas de monnaie.

Or, le prince Bariatinsky m’avait fait changer, par Davidoff, un millier de roubles-papier contre la même somme en argent. Mais en arrivant à Koutaïs, je me trouvais encore avoir deux cent cinquante à trois cents roubles en papier.

Une fois sorti de la Russie, mes roubles étaient bons à faire des papillotes ; or, ayant les cheveux naturellement crépus, les papillotes me sont absolument inutiles.

Je priai donc M. Romanoff d’obtenir du gouverneur qu’on me changeât en argent au moins la moitié de mes roubles.

Ce fut toute une négociation. Enfin, on nous promit qu’au retour de notre excursion, nous trouverions notre monnaie prête.

Les chevaux nous suivaient, nous les enfourchâmes, et, malgré le verglas, nous nous lançâmes hardiment dans la montagne.

Nous montâmes pendant sept verstes, tenant en bride nos chevaux, qui menaçaient de s’abattre sous nous à chaque instant.

Arrivés au couvent, nous nous trouvâmes seulement là assez solides pour regarder autour de nous ; la vue était belle, malgré cette couche de neige qui donnait partout au paysage la même valeur.

L’été, elle eût été une des plus belles choses de notre voyage.

Le couvent, de son côté, est un des plus beaux spécimens de l’architecture byzantine.

La cathédrale est un modèle de proportions. Par malheur, les fresques sont presque effacées, et l’ancien iconostase n’existe plus.

Il est remplacé par un de ces ignobles paravents en peinture qui, au Caucase, défigurent souvent les plus beaux temples.

L’aspect général de l’intérieur de l’église est triste, sale et misérable ; cela sent le pays déchu.

Mais il ne faut pas se laisser repousser par ce premier aspect. Dans l’iconostase on a incrusté deux ou trois images d’une valeur énorme.

La première place à la gauche de la porte sainte est occupée par l’image de Notre-Dame de Gaëlaëth.

L’image est fort miraculeuse, et sa réputation date de loin.

Voici la tradition à laquelle cette réputation est due.