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Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/77

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— Je doute au moins, répondit Danglars, en souriant de son sourire épais.

— Baptistin ! dit Monte-Cristo, faites apporter l’autre sterlet et l’autre lamproie ; vous savez, ceux qui sont venus dans d’autres tonneaux et qui vivent encore.

Danglars ouvrit des yeux effarés ; l’assemblée battit des mains.

Quatre domestiques apportèrent deux tonneaux garnis de plantes marines, dans chacun desquels palpitait un poisson pareil à ceux qui étaient servis sur la table.

— Mais pourquoi deux de chaque espèce ? demanda Danglars.

— Parce que l’un pouvait mourir, répondit simplement Monte-Cristo.

— Vous êtes vraiment un homme prodigieux, dit Danglars, et les philosophes ont beau dire, c’est superbe d’être riche.

— Et surtout d’avoir des idées, dit madame Danglars.

— Oh ! ne me faites pas honneur de celle-ci, madame ; elle était fort en honneur chez les Romains ; et Pline raconte qu’on envoyait d’Ostie à Rome, avec des relais d’esclaves qui les portaient sur leur tête, des poissons de l’espèce de celui qu’il appelle le mulus, et qui, d’après le portrait qu’il en fait, est probablement la dorade. C’était aussi un luxe de l’avoir vivant, et un spectacle fort amusant de le voir mourir, car en mourant il changeait trois ou quatre fois de couleur, et, comme un arc-en-ciel qui s’évapore, passait par toutes les nuances du prisme, après quoi on l’envoyait aux cuisines. Son agonie faisait partie de son mérite. Si on ne le voyait pas vivant, on le méprisait mort.

— Oui, dit Debray ; mais il n’y a que sept ou huit lieues d’Ostie à Rome.