Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/171

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gayer par tous les moyens possibles ; ce soir, par exemple, j’envoie à sa maîtresse une trentaine de musiciens d’Italie qui vont faire rage sous son balcon.

— Fi ! dit le roi, c’est commun.

— Comment ! c’est commun ! trente musiciens qui n’ont pas leurs pareils dans le monde entier !

— Ah ! ma foi, du diable si, quand j’étais amoureux de madame de Condé, on m’eût distrait avec de la musique.

— Oui, mais vous étiez amoureux, vous, sire.

— Comme un fou, dit le roi.

Un nouveau grognement se fit entendre, qui ressemblait fort à un ricanement railleur.

— Vous voyez bien que c’est tout autre chose, sire, dit Joyeuse en essayant, mais inutilement, de voir d’où venait l’étrange interruption. La dame, au contraire, est indifférente comme une statue, et froide comme un glaçon.

— Et tu crois que la musique fondra le glaçon, animera la statue ?

— Certainement que je le crois.

Le roi secoua la tête.

— Dame ! je ne dis pas, continua Joyeuse, qu’au premier coup d’archet la dame ira se jeter dans les bras de du Bouchage ; non, mais elle sera frappée que l’on fasse tout ce bruit à son intention : peu à peu elle s’accoutumera aux concerts, et si elle ne s’y accoutume pas, eh bien, il nous restera la comédie, les bateleurs, les enchantements, la poésie, les chevaux, toutes les folies de la terre enfin ; si bien que si la gaieté ne lui revient pas, à cette belle désolée, il faudra bien au moins qu’elle revienne à du Bouchage.

— Je le lui souhaite, dit Henri ; mais laissons du Bouchage, puisqu’il serait si gênant pour lui de quitter Paris en ce moment. Il n’est pas indispensable pour moi que ce soit lui qui accomplisse cette mission ; mais j’espère que toi, qui donne de si bons conseils, tu ne t’es pas fait esclave, comme lui, de quelque belle passion ?