Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/239

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On voyait peu à peu tomber le masque religieux de Borromée, qui, le fleuret à la main, emporté par l’action si entraînante de la lutte d’adresse, se transformait en homme d’armes : il entremêlait chaque coup d’une exhortation, d’un conseil, d’un reproche ; mais souvent la vigueur, la promptitude, l’élan de Jacques triomphaient des qualités de son maître, et frère Borromée recevait quelque bon coup en pleine poitrine.

Chicot dévorait ce spectacle des yeux, et comptait les coups de bouton.

Lorsque l’assaut fut fini, ou plutôt lorsque les tireurs firent une première pause :

— Jacques a touché six fois, dit Chicot ; frère Borromée, neuf ; c’est fort joli pour l’écolier, mais ce n’est point assez pour le maître.

Un éclair inaperçu à tout le monde, excepté à Chicot, passa dans les yeux de Borromée, et vint révéler un nouveau trait de son caractère.

— Bon ! pensa Chicot, il est orgueilleux.

— Monsieur, répliqua Borromée d’une voix qu’à grand’peine il parvint à faire doucereuse, l’exercice des armes est bien rude pour tout le monde, et surtout pour de pauvres moines comme nous.

— N’importe, dit Chicot, décidé à pousser maître Borromée jusqu’en ses derniers retranchements ; le maître ne doit pas avoir moins de la moitié en avantage sur son élève.

— Ah ! monsieur Briquet, fit Borromée, tout pâle et se mordant les lèvres, vous êtes bien absolu, ce me semble.

— Bon ! il est colère, pensa Chicot, deux péchés mortels ; on dit qu’un seul suffit pour perdre un homme : j’ai beau jeu.

Puis tout haut :

— Et si Jacques avait plus de calme, continua-t-il, je suis certain qu’il ferait jeu égal.