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Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/138

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Il pouvait être six heures du soir. Au bout d’une demi-heure de marche, le jour était sur son déclin.

Un grand vent faisait tourbillonner les feuilles et les enlevait vers un étang immense, perdu dans les profondeurs des arbres, comme une autre mer Morte, et qui côtoyait la route qui s’étendait devant les voyageurs.

Depuis deux heures la pluie, qui tombait par torrents, avait détrempé le terrain argileux. Diane, assez sûre de son cheval, et d’ailleurs assez insouciante de sa propre sûreté, laissait aller son cheval sans le soutenir ; Aurilly marchait à droite, Remy à gauche.

Aurilly était sur la lisière de l’étang, Remy sur le milieu du chemin.

Aucune créature humaine n’apparaissait sous les sombre arceaux de verdure, sur la longue courbe du chemin.

On eût dit que la forêt était un de ces bois enchantés sous l’ombre desquels rien ne peut vivre, si l’on n’eût entendu parfois sortir de ses profondeurs le rauque hurlement des loups que réveillait l’approche de la nuit.

Tout à coup Diane sentit que la selle de son cheval, sellé comme d’habitude par Aurilly, vacillait et tournait ; elle appela Remy qui sauta en bas du sien, et se pencha pour resserrer la courroie.

En ce moment Aurilly s’approcha de Diane occupée, et du bout de son poignard coupa la ganse de soie qui retenait le masque.

Avant qu’elle eût deviné le mouvement ou porté la main à son visage, Aurilly enleva le masque et se pencha vers elle, qui de son côté se penchait vers lui.

Les yeux de ces deux créatures s’étreignirent dans un regard terrible ; nul n’eût pu dire lequel était le plus pâle et lequel le plus menaçant.

Aurilly sentit une sueur froide inonder son front, laissa tomber le masque et le stylet, et frappa ses deux mains avec angoisse en criant :