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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» — Général, ce que nous faisons là, ou plutôt ce que vous faites là, n’est pas raisonnable : arrêtons-nous et attendons que nous soyons ralliés. D’ailleurs, la disposition du terrain indique un plateau derrière la maison, et peut-être allons-nous y trouver l’ennemi en bataille.

» — Eh bien, garçon, va voir s’il y est, me dit-il ; nos chevaux souffleront pendant ce temps-là.

» Je mis pied à terre, je tournai autour de l’auberge, et je vis, à deux cents pas, trois beaux escadrons en bataille. Je revins faire mon rapport au général, qui, sans dire un mot, mit son cheval au pas, et se dirigea vers les escadrons ennemis. Je remontai à cheval et je le suivis.

» À peine eut-il fait cent pas, qu’il se trouva à la portée de la voix. Le commandant parlait français, et, Je reconnaissant :

» — Ah ! c’est toi, diable noir ! lui dit-il. À nous deux ! » Les Autrichiens n’appelaient Je général que Schwartz Teufel.

» — Fais cent pas, jean-f…, dit le général, et j’en ferai deux cents-

» Et, sur cette réponse, il mit son cheval au galop.

» Pendant ce temps-là, je criais comme un diable, et tout en suivant le général, que je ne voulais pas quitter :

» — À moi, dragons ! à moi, dragons !

» De sorte que l’ennemi, croyant à tout moment voir déboucher des forces considérables, tourna le dos, le commandant tout le premier.

» Le général allait les poursuivre à lui tout seul, quand j’arrêtai son cheval par la bride, et le forçai d’attendre les nôtres sur le terrain même que l’ennemi venait d’occuper.

» Mais, une fois que nous eûmes été rejoints, il n’y eut plus moyen d’arrêter le général, et nous nous remîmes à la chasse des Autrichiens. Seulement, cette fois, j’obtins, comme la route était fort accidentée, que nous nous ferions éclairer par des tirailleurs.

» Les tirailleurs partirent devant, et, pendant ce temps-là, nous fîmes souffler nos chevaux.