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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

valerie, qu’il croyait suffisante pour dégager Delmas et même pour en finir avec Laudun. Joubert accepta, et mon père partit laissant à Joubert la commission de ravoir ses pistolets à quelque prix que ce fut. Mon père, on se le rappelle ; tenait énormément à ses pistolets, qui lui avaient été donnés par ma mère et qui lui avaient sauvé la vie au camp de la Madeleine.

Il fit une si grande diligence, que, le lendemain matin, il était à Bolzano avec toute sa cavalerie.

Cette cavalerie, hommes et chevaux, semblait avoir reçu une partie de l’âme de son chef ; elle avait une telle confiance en lui, depuis qu’elle l’avait vu surtout lutter corps à corps avec l’ennemi, comme il avait fait dans les derniers combats, qu’elle l’eût suivi au bout du monde.

Comme mon père et ses hommes étaient entrés de nuit à Bolzano, l’ennemi ignorait son arrivée et croyait n’avoir affairé qu’à Delmas et aux quelques hommes qui l’accompagnaient. Les deux généraux résolurent de profiter de cette ignorance des Autrichiens pour prendre l’offensive dès le lendemain ; aussi, au point du jour, les deux généraux attaquèrent-ils l’ennemi au moment où il croyait attaquer lui-même.

Mon père tenait la grande route avec sa cavalerie ; Delmas, avec son infanterie, prit par les hauteurs, attaqua les positions les unes après les autres, et les emporta toutes tandis que mon père sabrait les fuyards.

Là journée fut si chaude, et les Autrichiens se reconnurent si bien battus, qu’ils disparurent des environs de Bolzano, et que mon père put revenir à Brixen.

Il n’avait mis que trois jours à accomplir son expédition. Il était temps qu’il revînt : les paysans s’étaient révoltés, et avaient égorgé quelques maraudeurs qui avaient eu l’imprudence de sortir des cantonnements. Grâce à cette révolte, Kerpen était revenu, et l’on allait avoir affaire, non-seulement aux troupes réglées, mais encore aux Tyroliens, ces terribles chasseurs, dont la balle nous avait déjà enlevé Marceau, et allait bientôt nous enlever Joubert.

On se mit aussitôt en campagne : mon père, à la tête de son infatigable cavalerie, et sur un beau cheval que lui avait