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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Eh bien, ma démission ?…

— Elle est là dans le tiroir, toute prête pour la première occasion : il n’y aura que la date à changer.

Ce fut donc en se promettant bien à lui-même d’envoyer directement cette fois sa démission au Directoire, au premier désagrément qu’il éprouverait de la part de Bonaparte, que mon père se présenta devant lui à Grætz.

Mais, en l’apercevant, Bonaparte ouvrit les bras :

— Salut, dit-il, à l’Horatius Coclès du Tyrol !

La réception était trop flatteuse pour que mon père tint plus longtemps rancune ; il tendit les bras de son côté, et l’accolade fraternelle fut donnée et rendue.

— Oh ! quand je pense que je l’ai tenu dans mes bras et que je pouvais l’étouffer ! disait sept ans après mon père ; au moment où Bonaparte se faisait nommer empereur.

Bonaparte avait un but dans tout ce qu’il faisait ; son but, en appelant près de lui mon père ; était d’organiser dans son armée des divisions de cavalerie dont son armée manquait. Mon père eût été chargé de cette organisation ; et, ces divisions établies, il les eût commandées ;

En attendant, mon père fut nommé gouverneur de la province du Trévisan, dans laquelle Dermoncourt et lui se rendirent immédiatement.

Le nouveau gouverneur fut admirablement reçu dans cette magnifique province. Les plus beaux palais des plus riches sénateurs de Venise furent mis à sa disposition : Le Trévisan était à Venise ce que l’ancienne Baïa était à Rome, la maison de campagne d’une reine.

La municipalité offrit trois cents francs par jour à mon père pour la dépense de sa table et de sa maison. Mon père établit ses calculs avec Dermoncourt, — j’ai sous les yeux ces calculs, faits sur une carte même du Trévisan, — et reconnut que cent francs lui suffisaient.

Il n’accepta donc que cent francs.

Les pauvres Italiens n’étaient pas habitués à ces façons-là. Aussi ne comprenaient-ils rien à ce désintéressement. Longtemps encore, ils n’osèrent s’y fier. Ils attendaient toujours