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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

foule d’aventures, dont nous rapporterons une seule qui, par son caractère d’originalité, mérite cette exception.

En outre, un nom illustre s’y rattache, et, soit au théâtre, soit dans mes romans, ce nom s’est présenté si souvent sous ma plume, que c’est presque un devoir pour moi d’expliquer au public d’où vient ma sympathie pour ce nom.

Le marquis de la Pailleterie avait été compagnon du duc de Richelieu, plus vieux que lui de quatorze ans, à l’époque où celui-ci, sous les ordres du marquis d’Asfeld, commandait une brigade au siège de Philipsbourg : ce devait être en 1738.

Mon grand-père était alors premier gentilhomme de M. le prince de Conti.

M. le duc de Richelieu était, comme on sait, du côté de son grand-père, qui se nommait Vignerot, d’assez médiocre naissance.

Il avait inutilement changé en d le t qui termine ce nom et invoqué une origine anglaise pour dérouter les chercheurs de filiation. Les limiers héraldiques prétendaient que le susdit Vignerot avec un t, et non avec un d, était tout bonnement un joueur de luth, lequel avait séduit la nièce du grand cardinal, comme Abeilard la nièce du chanoine Fulbert, et qui, plus heureux qu’Abeilard, étant resté au complet, l’avait épousée après l’avoir séduite.

Le maréchal, qui, au reste, à cette époque, n’était pas encore maréchal, Vignerot par son père, n’était Richelieu que par sa grand’mère ; ce qui ne l’avait pas empêché d’épouser, en premières noces, mademoiselle de Noailles et, en secondes, mademoiselle de Guise, alliance, nous parlons de la dernière, alliance qui l’apparentait avec la maison impériale d’Autriche et le faisait cousin du prince de Pont et du prince de Lixen.

Or, il arriva qu’un jour que le duc de Richelieu avait été de tranchée, et que, selon son habitude, il ne s’était pas ménagé, il arriva, dis-je, qu’il revenait au camp avec mon grand-père, et suivait la chaussée, tout couvert de sueur et de boue.

MM. les princes de Pont et de Lixen se promenaient sur cette même chaussée ; le duc, pressé de rentrer chez lui pour changer de tout, passa près d’eux au galop et en les saluant.