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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nous intima l’ordre de partir sur-le-champ pour Brindisi. Alors cet avertissement qui m’avait été donné dans la journée me revint à l’esprit ; et, pensant que, puisque la première partie de cet avertissement qui concernait la translation était vraie, la seconde, qui concernait l’assassinat, devait être aussi vraie que la première ; je trouvai que tout autant valait mourir tout de suite ; que, d’ailleurs, mourir en résistant, mourir dans une lutte, mourir dans un combat, était préférable à mourir lentement, heure par heure, minute par minute. Je déclarai donc que je ne bougerais pas ; qu’on m’enlèverait par force, mais que je me défendrais jusqu’à la dernière extrémité.

» À cette réponse, le marquis tira son sabre et s’avança vers moi.

» J’avais au chevet de mon lit une canne, avec un lourd pommeau d’or massif, qu’on m’avait sans doute laissée parce qu’on prenait ce pommeau pour du cuivre. Je saisis ma canne, et, sautant à bas de mon lit, je tombai sur le marquis et sur toute cette canaille d’une si rude façon, que le marquis lâcha son sabre et s’enfuit, et que tous ces misérables coquins, jetant couteaux et poignards, le suivirent en poussant de grands cris ; et cela, si vivement ; qu’en moins de dix secondés ma chambre fut complètement évacuée.

» Je ne sais, du reste, comment eût tourné pour nous cet acte de rébellion, si l’armistice conclu à Foligno n’était venu mettre un terme à ce long supplice, auquel nous devions nécessairement finir par succomber. Mais, comme le gouvernement napolitain devait être infâme pour nous jusqu’au dernier moment, on se garda bien de nous annoncer la fin de notre captivité. Tout au contraire, avec des menaces nouvelles, avec un appareil formidable, et comme si on nous réunissait là pour nous y faire périr tous ensemble, on nous transféra à Brindisi tous tant que nous étions de Français à Tarente et dans ses environs.

» Ce fut seulement au moment d’être embarqués que nous sûmes l’armistice conclu et le cartel d’échange arrêté ; nous étions libres.