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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Le berger en a bu la moitié.

— Je comprends l’ordonnance, alors. Et le bol de vin chaud n’a rien fait ?

— Mon général, elle est venue piétiner sur ma poitrine cette nuit-là, comme si je n’avais absolument rien pris.

— Et qu’as-tu fait encore ?

— J’ai fait ce que je fais quand je veux prendre une bête fausse.

Mocquet avait une phraséologie qui lui était particulière. Jamais on n’avait pu lui faire dire une bête fauve. Toutes les fois que mon père disait une bête fauve, Mocquet reprenait :

— Oui, général, une bête fausse, parce que, général, sauf votre respect, vous vous trompez.

— Comment, je me trompe ?

— Oui, on ne dit pas une bête fauve on dit une bête fausse.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que bête fauve, cela ne veut rien dire.

— Et que veut dire bête fausse ?

— Cela veut dire une bête qui ne va que la nuit, ça veut dire une bête qui trompe, ça veut dire une bête fausse enfin.

La définition était si logique, qu’il n’y avait rien à répondre. Aussi mon père ne répondit-il rien, et Mocquet, triomphant, continua d’appeler les bêtes fauves des bêtes fausses.

Voilà pourquoi à la question de mon père : « Et qu’as-tu fait encore ? » Mocquet répondit :

— J’ai fait ce que je fais quand je veux prendre une bête fausse.

— Et que fais-tu, Mocquet.

— Je préparé un pierge.

C’était la façon de Mocquet de prononcer le mot piège.

— Tu as préparé un piège pour prendre la mère Durand ?

Mocquet n’aimait pas qu’on prononçât les mots autrement que lui.

Il reprit :

— J’ai préparé un pierge pour la mère Durand.

— Et où l’as-tu mis ? À ta porte ?