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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

et l’on devait profiter de notre, présence sur le boulevard pour orner chacun de mes cartilages auditifs d’un petit anneau d’or. Je fis, le moment venu, de grandes difficultés pour me laisser faire ; mais un énorme abricot que mon père alla chercher leva tous les obstacles, et je m’acheminai vers la rue Thiroux, riche d’un ornement de plus.

Vers le tiers de la rue du Mont-Blanc, mon père se sépara de ma mère, me prit avec lui et m’emmena dans un grand hôtel, desservi par des valets en livrée rouge. Mon père dit son nom. On nous fit attendre un instant, puis on nous introduisit, à travers des appartements qui me parurent fort somptueux, jusqu’à une chambre à coucher où se tenait étendue sur une chaise longue une vieille dame qui tendit à mon père la main, avec un geste plein de dignité. Mon père de son côté, baisa respectueusement cette main et s’assit près de cette dame.

Comment se fit-il que, moi qui venais d’être si prodigue de gros mots et de gestes si familiers avec toutes les charmantes jeunes filles qui voulaient m’embrasser, comment se fait-il que, quand cette vieille dame m’appela vers elle, je lui tendis avec empressement mes deux joues ? C’est que, dans cette vieille dame, il y avait quelque chose qui attirait et commandait en même temps.

Mon père demeura une demi-heure à peu près avec cette dame, demi-heure pendant laquelle je me tins, moi, assis immobile à ses pieds. Après quoi, nous la quittâmes, et elle dut demeurer convaincue que j’étais l’enfant le mieux élevé qu’il y eût au monde.

À la porte, mon père s’arrêta, et, me prenant dans sa main pour me mettre à hauteur de son visage, ce qu’il faisait toutes les fois qu’il avait quelque chose de sérieux à me communiquer.

— Mon enfant, me dit-il, pendant que j’étais à Florence, j’ai lu l’histoire d’un sculpteur qui raconte qu’un jour qu’il avait ton âge à peu près, ayant montré à son père une salamandre qui jouait dans le feu, son père lui donna un grand soufflet en lui disant : « Mon fils, ce soufflet-là que je te donne