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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Cette femme, c’était Pauline Bonaparte, née à Ajaccio en 1790, veuve du général Leclerc en 1802, femme, en 1803, du prince Aldobrandini Borghèse, et séparée de son mari en 1804.

C’était une charmante créature que celle qui s’offrait à moi, toute petite, toute gracieuse, toute chaste ; elle avait de petites pantoufles brodées que lui avait sans doute données la fée, marraine de Cendrillon. Elle ne se leva pas lorsqu’entra mon père. Elle étendit la main et souleva la tête, voilà tout. Mon père voulait s’asseoir à côté d’elle sur une chaise ; elle le fit asseoir à ses pieds, qu’elle posa sur ses genoux, jouant du bout de sa pantoufle avec les boutons de son habit.

Ce pied, cette main, cette délicieuse petite femme, blanche et potelée, près de cet Hercule mulâtre, toujours beau et puissant, malgré ses souffrances, faisait le plus charmant tableau qui se puisse voir.

Je regardais en riant. La princesse m’appela et me donna une bonbonnière d’écaille, tout incrustée d’or.

Ce qui m’étonna, c’est qu’elle vida les bonbons qui étaient dedans pour me donner la boite. Mon père lui en fit l’observation. Elle se pencha à son oreille, lui dit quelques mots tout bas, et tous deux se prirent à rire.

Dans ce moment, la joue blanche et rose de la princesse effleura la joue brune de mon père ; lui parut plus brun ; elle, plus blanche. Tous deux étaient superbes.

Peut-être ai-je vu cela avec mes yeux d’enfant, — ces yeux pleins d’étonnement de tout ; — mais, si j’étais peintre, à coup sûr, je ferais un beau tableau de ces deux personnages.

Tout à coup, on entendit le son du cor dans le parc.

— Qu’est cela ? demanda mon père.

— Oh ! répondit la princesse, ce sont les Mohtbreton qui chassent.

— Mais, dit mon père, voici la chasse qui se rapproche ; l’animal va passer dans cette allée ; venez donc voir, princesse.

— Oh ! ma foi non, mon cher général, dit-elle ; je suis bien et je ne me dérange pas ; cela me fatigue de marcher : portez-moi, si vous voulez.