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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Personne ne pouvait frapper à cette porte intérieure, puisque les deux autres portes étaient fermées.

Mais, moi qui aujourd’hui frissonne presque en écrivant ces lignes, moi, au contraire, je n’éprouvai aucune peur : je descendis à bas de mon lit et je m’avançai vers la porte.

— Où vas-tu, Alexandre ? me cria ma cousine ; où vas-tu donc ?

— Tu le vois bien, répondis-je tranquillement, je vais ouvrir à papa, qui vient nous dire adieu.

La pauvre fille sauta hors de son lit tout effarée, m’attrapa comme je mettais la main à la serrure, et me recoucha de force dans mon lit.

Je me débattais entre ses bras, criant de toutes mes forces :

— Adieu, papa ! adieu, papa !

Quelque chose de pareil à une haleine expirante passa sur mon visage et me calma.

Cependant je me rendormis avec des larmes plein les yeux et des sanglots plein la gorge.

Le lendemain, on vint nous réveiller au jour.

Mon père était mort juste à l’heure où ce grand coup dont je viens de parler avait été frappé à la porte !

Alors j’entendis ces mots, sans trop savoir ce qu’ils signifiaient :

— Mon pauvre enfant, ton papa, qui t’aimait tant, est mort !

Quelle bouche prononça sur moi ces mots qui me faisaient orphelin à trois ans et demi ?

Il me serait impossible de le dire.

Par qui me fut annoncé le plus grand malheur de ma vie ?

Je l’ignore.

— Mon papa est mort, répliquai-je. Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Cela veut dire que tu ne le verras plus.

— Comment, je ne verrai plus papa ?

— Non.

— Et pourquoi ne le verrai-je plus ?

— Parce que le bon Dieu te l’a repris.