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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On me conduisit chez un de nos voisins nommé Lepage et qui était vitrier. J’y passai la nuit. Le lendemain, mon grand-père était mort.

Ma mère héritait de ces fameux trente arpents de terre dont j’ai déjà parlé, et de cette maison dont on payait la rente viagère. Seulement, c’était de la rente à servir qu’elle héritait, et non de la maison.

Si ma pauvre mère n’avait pas toujours gardé cette double espérance d’obtenir une pension et de se faire payer les vingt-huit mille cinq cents francs d’arriéré dus à mon père, voici sans doute ce qu’elle eût fait : elle eût vendu les trente arpents de terre trente ou trente-cinq mille francs, prix qu’ils valaient ; elle eût cédé ses droits à la maison de M. Harlay pour cinq ou six mille francs, et, avec ces quarante mille francs, elle se fût fait deux mille livres de rente avec lesquelles, grâce à son économie, nous eussions parfaitement vécu.

Tandis qu’au contraire, toujours dans l’espoir de rembourser avec ce malheureux arriéré, elle commença à emprunter sur les terres en les hypothéquant.

Du revenu de ces terres, il était impossible d’exister ; à peine rapportaient-elles deux du cent.

Je ne sais si c’est avant ou après la mort de mon grand-père que nous déménageâmes. Je crois cependant que c’est auparavant.

Nous demeurâmes alors rue de Lormet ; je m’étais rapproché de la maison où j’étais né.

Peu de temps après, nous perdîmes, dans cette maison, la cousine que j’appelais maman Zine.

La mort frappait, comme on voit, à coups redoublés sur la famille ; en quatre ans, quatre personnes s’étaient couchées pour l’éternité, l’une près de l’autre, dans ce petit cimetière dont j’ai déjà parlé.

Mais, à part la mort de mon père, aucune de ces morts ne produisit sur moi une impression réelle. Tout cela se traduisait par une promenade quotidienne au cimetière. Un tertre de plus s’ajoutait aux autres tertres, que ma mère appelait son jardin ; un nouveau cyprès était planté près des anciens