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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mon père fit quelques pas ; mais, malgré toute son attention, il ne put rien voir.

Il fit un mouvement d’épaules qui indiquait son impuissance.

— Comment ! là, là, vous ne voyez pas ? dit le capitaine. Il est enroulé autour de lui-même et balance sa tête en sifflant.

— Alors, tire sur lui, le plus promptement possible, car il va s’élancer.

Le capitaine d’Horbourg porta rapidement la crosse de son fusil à l’épaule et lâcha le coup. L’amorce seule brûla.

Au même instant, le serpent s’élança ; mais, avant qu’il eût parcouru la distance qui le séparait du capitaine, le coup était parti et la charge, faisant balle, lui avait emporté la tête.

Le serpent alla tomber aux pieds du capitaine, autour des jambes duquel il se tordit dans les dernières convulsions de l’agonie.

Le capitaine jeta un cri, car ce ne fut qu’au bout d’un instant qu’il put s’apercevoir dans quel état était le serpent.

Revenu à lui et un peu rassuré, le capitaine d’Horbourg rapporta le serpent au Caire, le fit dépouiller, et, en souvenir du danger qu’il avait couru, se fit faire un ceinturon de sabre avec sa peau.

Mais, tout le long du chemin, il n’en répétait pas moins à mon père :

— Hein ! mon général, quand je vous disais que ce diable de capitaine nous porterait malheur !

En effet, de toute la journée, les deux chasseurs ne tirèrent que le serpent ; ce qui était une assez pauvre chasse.

Au mois de juillet 1843, comme, à mon retour de Florence, je logeais rue de Richelieu, hôtel de Paris, je reçus une lettre signée « Ludovic d’Horbourg, » dans laquelle le signataire me demandait une entrevue pour acquitter près de moi une dernière recommandation à lui faite par son père mourant.

Le lendemain était le jour de la première représentation des Demoiselles de Saint-Cyr : je remis l’entrevue au surlendemain.