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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

montèrent de la cour au degré de l’escalier où je me trouvais. Je me sentis pâlir et frissonner ; une sueur froide me passa sur le front. Je mesurai les deux extrémités où j’étais réduit, — celle d’attraper quelques coups de poing sur l’œil ou dans les dents, et tout serait fini, — ou celle d’être éternellement le jouet de mes camarades, et d’avoir à recommencer tous les jours. Je me cramponnai à mon courage, près de m’échapper ; je fis un effort sur ma volonté, afin qu’elle devint entièrement maîtresse de la situation. Il y eut une demi-minute de lutte, au bout de laquelle je sentis que le moral venait de vaincre le physique ; le raisonnement, l’instinct.

Cependant, je sentis, en même temps, que j’avais besoin d’un certain aiguillon pour me pousser tout à fait, que, cet aiguillon, je l’avais en moi-même, et que, si je voulais aller en avant, il fallait que je me stimulasse avec le fouet de la parole.

— Ah ! dis-je m’adressant à Bligny, ah ! c’est comme cela ?

— Oui, c’est comme cela, répondit-il.

— Tu veux donc te battre, toi ?

— Oui, je le veux.

— Ah ! tu le veux ?

— Oui.

— Ah ! tu le veux ?

— Oui.

— Eh bien, attends !

J’étais arrivé à point ; je déposai mes livres à terre, je jetai bas ma veste, et je me précipitai sur mon antagoniste en criant :

— Ah ! tu veux te battre ?… ah ! tu veux te battre ?… Attends ! attends ! attends !

Que le maréchal de Saxe, ce grand philosophe militaire, avait bien raison de dire que tout l’art de la guerre consiste à faire semblant de n’avoir pas peur, et à faire peur à son adversaire.

J’eus l’air d’être sans crainte, et Bligny fut vaincu.

Je ne veux pas dire qu’il fut vaincu sans combat, non ; mais mieux eût valu pour lui ne pas combattre ; un coup de