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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


XXVII


L’abbé Fortier. — Le viatique et le mari jaloux. — Voyage d’agrément. — Victor Letellier. — Le pistolet de poche. — J’effraye la population. — On requiert Tournemolle. — Il me désarme.

La vie de pension n’est pas une chose bien variée, surtout dans un collège de province, et dans quel collège encore ! Si, après y avoir montré mon entrée, parce qu’un côté de mon caractère s’y développait, je voulais absolument suivre cette vie dans tous ses détails, je n’aurais à raconter que quelques espiègleries d’enfant, suivies de pénitences et de pensums, ne valant pas même la peine d’être consignées dans les Jeunes Écoliers, de M. Bouilly.

Un accident terrible arrivé au séminaire de Soissons fit que ma mère, déjà consolée de ma révolte, rendit de nouvelles grâces à Dieu de ce que je n’y étais point entré. La poudrière de la ville, qui était située à cinquante mètres à peu près de ce séminaire, sauta ; il fut renversé de fond en comble, et huit ou dix séminaristes furent tués ou blessés.

Sur ces entrefaites, un de nos parents mourut : c’était celui chez lequel je trouvai l’hospitalité, la nuit où je perdis mon père. Sa fille Marianne, notre cousine à ma sœur et à moi, quitta alors Villers-Cotterets pour aller demeurer près de son oncle, l’abbé Fortier, qui tenait la cure du petit village de Béthisy, situé à cinq lieues de chez nous, et à trois lieues de Compiègne.

Cet abbé passait pour fort riche : la cousine Marianne paraissait donc faire une bonne affaire en devenant son intendante ; seulement, il était d’un caractère un peu inquiétant.

Nous aurions dit excentrique, si l’on se fût servi du mot à cette époque.

Je ne sais quelle déviation de la route que tout homme doit suivre pour être dans sa voie naturelle avait poussé l’abbé Fortier vers l’Église. L’abbé Fortier était né pour faire un excellent capitaine de dragons, tandis qu’il faisait, je ne dirai