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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

De son côté, l’abbé fut très-content de mon jarret, qu’il trouva fort supérieur à mon cerveau ; il me fit là-dessus quelques compliments goguenards dont je sentis toute la portée ; mais il m’avait donné tant de plaisir, que je n’avais pas le courage de lui en vouloir.

Je restai quinze jours chez l’abbé Fortièr. J’aurais voulu y rester toute ma vie.

Ma mère me rappela : c’était la première grande absence que je faisais. Pauvre femme, qui avait voulu m’envoyer au séminaire ! elle écrivait qu’elle allait mourir d’ennui, si l’on ne me renvoyait pas vite à elle.

L’abbé Portier haussa les épaules et dit :

— Eh bien, qu’on le renvoie !

La sensibilité n’était pas le côté faible de l’abbé Portier.

On me remit sur un âne ; on me conduisit à Crépy, qui deux fois par semaine, avait une correspondance avec Villers-Cotterets, grâce à une vieille femme nommée la mère Sabot, et à son âne.

Je passai de mon âne sur l’âne de la mère Sabot, et, le soir même, je fus à Villers-Cotterets..

Je trouvai un nouveau personnage installé dans la maison. Ce nouveau personnage était mon futur beau-frère

C’était un jeune homme de vingt-six à vingt-sept ans, qui, sans être beau, était porteur d’une physionomie si fine et si spirituelle, qu’elle pouvait parfaitement remplacer la beauté. Il était, en outre, d’une adresse remarquable à tous les exercices ; faisait bien des armes ; enlevait à vingt-cinq pas, avec la balle d’un pistolet, le bouchon d’une bouteille sans toucher à la bouteille ; montait parfaitement à cheval, et, sans être un chasseur de première force, passait pour un bon tireur.

Avant mon départ, il venait quelquefois déjà à la maison, et j’étais fort lié avec son chien, nommé Figaro, lequel méritait, parmi les chiens, une réputation d’esprit égale à celle que son maître s’était faite parmi les hommes.

Je fus parfaitement reçu par tout le monde, et particulièrement par le jeune homme, qu’on appelait Victor Letellier. Il