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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

surpassent mes forces et je préfère vous faire cet aveu que de rester en arrière de votre attente. Je serais glorieux de terminer cette malheureuse guerre et de délivrer enfin la République des maux dont elle a été menacée ; mais le désir de la gloire ne m’aveugle point ; mes moyens ne sont pas suffisants pour remplir toutes vos vues, pour réorganiser l’armée, pour suppléer à l’incapacité des officiers généraux, pour rappeler la confiance des habitants des pays révoltés, enfin pour donner une nouvelle vie et surtout une nouvelle âme à tout ce qui m’entoure.

» Tant que les choses resteront dans le même état, il m’est donc impossible de répondre à vos espérances et de vous assurer la fin de la guerre de la Vendée. »

Ne vous semble-t-il pas lire le rapport de quelque vieux Romain du temps de Régulus ou de Caton l’Ancien, envoyé dans une province révoltée, à la suite du proconsulat d’un Calpurnius Pison ou d’un Verrès ?

Ce rapport équivalait à une démission, et, l’on en conviendra, méritait mieux, eu égard à l’esprit du temps ; mais je ne sais quel bon génie protégeait mon père : au lieu de payer de sa tête les terribles vérités qu’il venait de dire, il fut nommé, le 2 nivôse an ii, général en chef de l’armée des Alpes, dont il prit le commandement le 2 pluviôse suivant.

Disons un mot de la situation où se trouvait l’armée des Alpes au moment où mon père fut nommé son général en chef.

D’abord on était déjà si loin des déroutes de Quiévrain et de Marchin, de la prise de Longwy et du bombardement de Lille, qu’on les avait presque oubliés. Au bout d’un an, la France, qui s’était vue si près de l’invasion, avait reporté la guerre sur le territoire ennemi ; la Belgique tout entière était subjuguée ; nos soldats mesuraient de l’œil les montagnes de la Savoie, qu’ils allaient bientôt franchir ; et l’Autriche, notre vieille ennemie, déjà menacée du côté de l’Allemagne, allait encore être attaquée en Italie.

Il est vrai qu’au cri de détresse poussé par François et par Frédéric-Guillaume, trois nouveaux ennemis s’étaient levés