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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/116

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le pris contre ma poitrine, comme Hercule avait fait d’Antée, et je regagnai mon trou, tout en ayant soin de recueillir, en passant, mon fusil, gisant sur le chemin déjà parcouru par moi.

De retour à mon domicile, je pus examiner mon lièvre avec attention. Cet examen m’expliqua tout : je lui avais crevé les deux yeux sans lui faire aucune autre blessure.

Je lui allongeai sur la nuque ce fameux coup, qui lui servit comme lièvre, quoique Arnal l’ait appelé le coup du lapin.

Puis je rechargeai mon fusil, le cœur tout bondissant, la main toute tremblante…

Il me sembla bien que la charge était un peu forte, mais j’étais sûr du canon, et cet excédant de quatre ou cinq lignes me donnait la chance de tuer de plus loin.

À peine étais-je replacé, que je vis un autre lièvre venant droit à moi.

J’étais guéri de la manie de le tirer en tête. D’ailleurs, celui-là promettait de me passer en plein travers, à vingt-cinq pas.

Il tint sa promesse. Je l’ajustai avec plus de calme qu’on n’eût pu m’en demander, et fis feu, convaincu que j’avais ma paire de lièvres.

L’amorce brûla, mais le coup ne partit point.

C’était un malheur ! J’essayai un de ces jurons qui allaient si bien à M. Deviolaine, mais je le lâchai à moitié : ils ne m’allaient pas du tout, à moi. Je n’ai jamais su jurer, même dans mes plus grands moments de colère.

J’épinglai mon fusil, je l’amorçai et j’attendis.

Décidément, M. Moquet ne m’avait pas trompé : un troisième lièvre venait sur les traces de ses devanciers.

Comme le dernier, il me passa en plein travers, à vingt pas ! comme le dernier, je l’ajustai, et, quand je le tins bien au bout de mon canon, j’appuyai le doigt sur la détente.

L’amorce seule brûla.

J’étais furieux ; c’était à en pleurer de rage.

D’autant plus qu’un quatrième lièvre arrivait au petit trot.