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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/155

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

manquait de vin dans les deux bouteilles ; puis il avait voulu monter sur son lit, mais alors les forces lui avaient fait défaut.

Il était tombé à terre, se cramponnant aux couvertures, et était mort dans la position où nous venions de le retrouver.

Un papier était sur la table : celui sur lequel le facteur, montant de la cave, l’avait vu écrivant.

Sur ce papier, d’une main encore ferme, étaient tracées ces quelques lignes :

» Mon inspecteur,

» Vous trouverez un des loups dans le bois Duquesnoy ; l’autre a décampé.

» Adieu, monsieur Deviolaine… Je vous avais bien dit qu’il m’arriverait malheur.

» Votre dévoué,
» Choron, garde chef. »

Ce que je disais tout à l’heure des petites villes, à propos des doux souvenirs, on peut le dire bien plus véritablement encore à propos des souvenirs terribles.

Une pareille catastrophe, arrivée dans le faubourg Saint-Martin, dans la rue Poissonnière ou sur la place du Palais-Royal, eût laissé une mémoire d’une semaine, de quinze jours, d’un mois tout au plus.

Mais, dans cette petite ville de Villers-Cotterets, sur cette route qui conduit à Soissons, et passe devant la maison funèbre, sous ces belles arcades de verdure que font les chênes et les hêtres centenaires, et sous lesquelles les gardes cheminent d’un pas sans écho et en se parlant tout bas, l’événement que je viens de raconter est encore présent comme au jour où il arriva, et chacun vous le raconterait comme je viens de vous le raconter.

Hélas ! pauvre Choron ! quand j’entrai dans ta maison, quand je regardai, pâlissant, ces bouteilles à moitié vides, ton corps frissonnant, ce chien qui léchait ta plaie, j’étais loin de