Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au bout d’un mois, une ordonnance de non-lieu fut rendue en faveur de Picot.

Il revint dans sa famille. Mais le coup avait été si violent, qu’il avait brisé l’avenir de cet homme. De hautain qu’il avait été, il devint misanthrope ; il se renferma dans sa propriété de Noue, évita toutes les réunions des jeunes gens de son âge, et finit par épouser la fille d’un gendarme, qui depuis longtemps était sa maîtresse.

Sans doute, — car il y a une récompense au bout de tout malheur non mérité, — sans doute, c’est une voie douloureuse par laquelle la Providence l’a conduit à la simplicité et au bonheur.

Il a d’abord eu une grande joie, la joie réelle de ce monde : son père et sa pauvre mère, qu’il aimait tant, sont morts près de lui dans la plus extrême vieillesse.

Le berger fut condamné à douze ou quinze ans de prison, je crois, pour avoir volé des habits trouvés sur un homme mort.

Étrange jugement, qui constatait un crime, mais sans désigner de criminel !

Maintenant, voici de nouveaux détails que j’ai recueillis depuis le procès :

Le jeune homme que j’avais trouvé assassiné, le 13 septembre 1816, se nommait Félix-Adolphe-Joseph Billaudet ; il était fils de François-Xavier-Léger Billaudet, huissier audiencier près le tribunal de première instance de l’arrondissement de Strasbourg ; il était né à Strasbourg le 1er avril 1801, et avait, par conséquent, à l’époque de sa mort, quinze ans, six mois et douze jours.

Il était domestique chez M. Maréchal, inspecteur forestier à Vervins, et porteur, lors de l’assassinat, d’un passe-port pour Paris délivré à Vervins le 8 septembre 1816.

Probablement, à cette heure, le père et la mère de ce pauvre enfant sont morts, et je suis peut-être le seul au monde qui, dans ce retour vers ma jeunesse, pense encore à lui.

Quant à Marot, en sortant de prison, il revint dans le pays,