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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/175

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

leur solitude, leur silence. Les marronniers redevenaient le domaine des oiseaux, qui, tout en voletant dans leurs branches, en faisaient tomber une neige de fleurs. Enfin, la pelouse, foulée aux pieds et dépouillée de ses fleurs, se redressait peu à peu, attirée par le soleil, et venait offrir d’elle-même à la main dévastatrice des enfants une seconde moisson de pâquerettes et de boutons d’or.

Cette année-là, à cette belle fête de la Pentecôte, étaient venues deux étrangères.

L’une était la nièce de l’abbé Grégoire, et se nommait Laurence. Son nom de famille, je l’ai oublié.

L’autre était une amie à elle. Elle se prétendait Espagnole, et se nommait Vittoria.

Cette nouvelle m’avait été annoncée par l’abbé Grégoire. Un matin, il était entré à la maison et m’avait fait frémir.

— Approche, garçon, m’avait-il dit.

Et je m’étais approché, sans trop savoir ce qu’il voulait de moi.

— Plus près, avait-il dit, plus près encore… Tu sais que je suis myope… La, bien.

En effet, le pauvre abbé était myope comme une taupe.

— Tu sais danser, n’est-ce pas ?

— Pourquoi me demandez-vous cela, monsieur l’abbé ?

— Dame ! tu te rappelles que, dans ta dernière confession, tu t’es accusé d’avoir été à la comédie, à l’opéra et au bal ?

En effet, dans un de ces examens de conscience que l’on vend tout imprimés, pour aider les mémoires paresseuses ou récalcitrantes, j’avais vu que c’était un péché que d’aller à la comédie, à l’opéra et au bal ; et, comme, lors du voyage que j’avais fait à Paris avec mon père, à l’âge de trois ans, j’avais vu jouer à l’Opéra-Comique Paul et Virginie ; comme j’avais depuis été au spectacle, lorsque par hasard étaient passés des comédiens ambulants à Villers-Cotterets ; comme, enfin, j’avais été au bal chez madame Deviolaine quand, à la fête d’une de ses filles, elle donnait un bal, je m’étais naïvement accusé d’avoir commis ces trois péchés ; ce qui avait beaucoup fait