Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

croisa, et, nous regardant avec un lorgnon suspendu à une petite chaîne d’acier :

— Ah ! ah ! dit-il, voilà Dumas qui va refaire sa première communion ; seulement, il a changé de cierge.

L’épigramme vint me frapper en plein visage ; je pâlis, et fus prêt à quitter le bras de ma compagne. Sans doute s’aperçut-elle de mon trouble, car, faisant comme si elle n’avait rien entendu :

— Quel est, me demanda-t-elle, ce jeune homme qui vient de passer ?

— C’est, répondis-je, un certain M. Miaud, employé au dépôt de mendicité.

J’avoue que j’appuyai sur ces derniers mots avec délices ; il me semblait qu’ils devaient faire modifier la bonne opinion que ma belle compagne paraissait avoir, au premier abord, conçue de ce muscadin.

— Ah ! dit-elle, c’est singulier, je l’eusse pris pour un Parisien.

— Et à quoi ? demandai-je.

— À sa mise.

Je suis convaincu que le trait était parti sans intention ; mais, comme la flèche barbelée du Parthe, il n’en pénétra pas moins au plus profond de mon cœur.

« Sa mise ! » C’était donc une chose bien importante que la mise ; on pouvait donc, sur la mise d’un homme, se faire du premier coup, en bien ou en mal, une idée de son intelligence, de son esprit ou de son cœur.

C’était un éclair qui illuminait tout à coup mon ignorance : « Sa mise ! »

Il était, en effet, parfaitement mis à la mode de 1818 : il portait un pantalon collant café clair, avec des bottes à cœur plissées sur le cou-de-pied, un gilet chamois à boutons d’or ciselés, et un habit brun à haut collet. Dans la poche de son gilet dormait un lorgnon d’or, soutenu par une fine chaîne d’acier, et, au gousset de son pantalon, un monde de petites breloques tremblait coquettement.