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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/222

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au même instant, une détonation sourde se fit entendre, Gustave chancela en disant :

— Je suis mort !

À part ceux qui entouraient le roi, personne ne s’était aperçu de l’événement ; le pistolet était caché dans un manchon ; au milieu du bruit des conversations et des accords de l’orchestre, la détonation s’était perdue.

Quant à la fumée, elle était restée ensevelie dans le manchon.

Cependant, au cri du roi, et en le voyant tomber faiblissant aux bras de d’Essen, chacun accourut ; dans le mouvement qui se fit, il fut alors facile à Ankarström de s’éloigner du roi, et même de sortir de la salle ; mais, dans le trajet, il avait laissé tomber un de ses pistolets.

Le pistolet fut ramassé, chaud et fumant encore.

Le lendemain, tous les armuriers de Stockholm furent interrogés, et l’un d’eux reconnut le pistolet pour l’avoir vendu à Ankarström.

Une heure après, Ankarström était arrêté chez lui, et une commission spéciale était nommée pour le juger.

Il avoua le crime, mais en le glorifiant. Quant à ses complices, quelque promesse qui lui fût faite, il refusa de les dénoncer.

Le procès fut mené lentement ; on espérait toujours qu’Ankarström parlerait ; enfin, le 29 avril 1792, c’est-à-dire quarante-quatre jours seulement après le meurtre, il fut condamné.

L’arrêt portait qu’il serait battu de verges pendant trois jours ; puis, décapité.

Malgré la longueur et l’ignominie du supplice, Ankarström conserva sa fermeté jusqu’au dernier moment. Traîné au supplice dans une charrette, il étendit des regards parfaitement tranquilles sur ces milliers de spectateurs pressés autour de l’échafaud. Arrivé sur la plate-forme, il demanda quelques secondes pour se réconcilier avec Dieu. Le délai lui fut accordé. Il se mit à genoux, fit sa prière, et se livra aux exécuteurs.

Il n’avait pas encore trente-trois ans accomplis.