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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/228

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mourir des princesses de jalousie, elle me donna un congé de trois jours.

À neuf heures du matin, je partis afin d’être à dix heures au lieu du rendez-vous. Tout le monde avait passé la nuit à Corcy, chez N. Leroy, où j’eusse passé la nuit comme les autres, si je n’eusse pas été impérieusement rappelé à Villers-Cotterets par la nécessité que j’ai dite. Mais qu’était-ce qu’une pareille course ! J’avais de bonnes jambes, et, aux jambes, des bottes qui pouvaient défier celles de l’ogre du Petit-Poucet.

En moins de trois quarts d’heure, j’aperçus les premières maisons du village avec l’étang au fond de la vallée, tranquille et resplendissant comme un miroir ; au bord de l’étang se promenait Adolphe de Leuven.

Je me doutai bien que personne n’était encore levé à la ferme, et j’allai à Adolphe. Il tenait à la main un crayon et des tablettes, et gesticulait, lui si flegmatique, d’une façon qui m’eût inquiété pour l’état de son esprit, si je n’eusse cru qu’il répétait une leçon d’armes.

En m’apercevant, il s’arrêta et rougit légèrement.

— Que diable faites-vous donc là ? lui demandai-je.

— Mais, répondit-il avec quelque embarras, je faisais des vers.

Je le regardai en face comme un homme qui n’a pas bien compris.

— Des vers !… Vous faites donc des vers ?

— Mais oui, quelquefois, dit-il en souriant.

— Et à qui faisiez-vous des vers ?

— À Louise.

— À Louise Collard ?

— Oui.

— Tiens ! tiens ! tiens !

L’idée qu’on pût faire des vers à Louise Collard, si adorable qu’elle fût, ne m’était jamais venue à l’esprit. Pour moi, Louise était toujours la charmante enfant portant des robes courtes et des pantalons festonnés, mais pas autre chose.

— Ah ! vous faisiez des vers à Louise, repris-je, et à quel propos ?