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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/247

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pleine de grenouilles. C’était un nouveau but tout trouvé ; nous exterminâmes les grenouilles à coups de pistolet.

De temps en temps, de Leuven nous lisait ou une fable ou une élégie de sa façon ; seulement, guéri de ses erreurs géographiques par l’événement nocturne de Villers-Hellon, il ne prenait plus le Midi pour le Nord, l’Espagne pour la Sibérie.

Un matin, une grande nouvelle se répandit dans la ville.

Trois étrangers venaient d’arriver chez M. de Leuven : M. Arnault et ses deux fils, Telleville et Louis Arnault.

M. Arnault, l’auteur de Germanicus et de Marius à Minturnes, était, à cette époque, un magnifique vieillard d’une soixantaine d’aunées, encore plein de verdeur sous les boucles blanches de ses cheveux, fins comme de la soie. Il était impossible d’avoir plus d’esprit que lui, esprit de riposte surtout, frappant aussi rapidement à son but que le fait, après la parade et par un coup droit, le maître le plus exercé.

Le seul défaut qu’on pût adresser à cet esprit, c’était sa mordante incisivité ; mais, comme les blessures faites par de belles dents, les morsures du poëte ne portaient jamais de venin avec elles.

M. Arnault avait fait connaissance avec le comte de Ribbing à cette fameuse table d’hôte où ce dernier avait donné un soufflet à un colonel étranger.

Depuis ce jour, M. de Leuven, si Français par le cœur, et M. Arnault, si Français par l’esprit, s’étaient voué une amitié que rompit la mort, mais en la léguant des pères aux enfants.

Telleville Arnault était un jeune officier d’une jolie figure, d’un esprit charmant, d’une bravoure éprouvée. Un duel qu’il venait d’avoir avec Martainville avait fait grand bruit dans le monde littéraire.

Ce duel avait eu lieu à propos de Germanicus.

Louis était encore un enfant de notre âge, à peu près.

Je me privai, par discrétion, d’aller chez Adolphe pendant tout le temps qu’y demeurèrent M. Arnault et ses fils ; mais, M. Deviolaine les ayant invités à une chasse au lapin, au bois du Tillet, je fus de cette chasse, et la connaissance, commencée