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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/35

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

XXXII

Auguste Lafarge. — Grande partie de marelle. — Chasse miraculeuse. — Épigramme. — Je veux faire des vers français. — De quelle façon je traduis Virgile et Tacite. — Montagnon. — Mes opinions politiques.

Dieu, au reste, sembla récompenser cet élan de mon âme vers lui. Ma mère obtint la seule chose qu’elle eût jamais obtenue pendant ses douze ans de sollicitations.

Dans la prévision de ce grand événement, nous avions déménagé de la rue de Lormet ; nous étions allés demeurer place de la Fontaine, chez un chaudronnier nommé Lafarge, lequel nous avait loué tout son premier, et s’était, en outre, engagé, au cas où nous en aurions besoin, à nous céder sa boutique.

Le bureau de tabac obtenu, il tint sa promesse, et nous nous installâmes au rez-de-chaussée sur la rue, dans une grande salle ornée de deux comptoirs : un pour débiter le tabac, l’autre pour débiter le sel.

Toutes nos espérances d’avenir reposaient sur ce double débit, que nous devions à la protection de M. Collard.

Quelque temps après notre installation, le fils du chaudronnier vint voir son père. C’était un beau jeune homme blond qui était maître clerc à Paris, et qui poursuivait une étude de notaire, pour l’achat de laquelle il lui fallait une dot. Il était, en conséquence, revenu dans sa famille avec tous les éblouissements de la capitale : carrick à trente-six collets, comme on les portait à cette époque, chaîne de montre à grosses breloques, pantalon collant, bottes à la hussarde. Il s’agissait d’éblouir quelque riche héritière : ce qui semblait facile à un habitué des bonnes fortunes parisiennes.

Le pauvre Auguste Lafarge était, à cette époque, un charmant garçon blond et rose, comme je l’ai dit, et qui cachait, sous cette apparence de santé, les germes d’une maladie de poitrine dont il est mort depuis. Il avait, en outre, de l’esprit,