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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/40

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

heures ; j’avais à moi à peu près le reste de la journée, et voici comment :

Mon professeur, pour se donner moins de peine, avait un Virgile et un Tacite avec la traduction en regard. Or, pour ne pas apporter et remporter chaque jour ces deux volumes, il les laissait à la maison, enfermés dans une petite cassette.

Cette petite cassette, il en emportait la clef avec soin ; car il savait la tentation grande pour un paresseux comme moi.

Malheureusement, j’avais découvert que la boîte avait des charnières extérieures. À l’aide d’un tourne-vis, j’entre-bâillais les charnières, et, à l’aide de l’entre-bâillement, je tirais, selon mes besoins, ou le chantre d’Énée, ou l’historien des Césars ; grâce à quoi, aidé de la traduction française, je faisais des versions qui surprenaient mon professeur lui-même.

Quant à ma mère, elle était émerveillée.

— Voyez cet enfant, disait-elle à tout venant, il s’enferme une heure, et son devoir de toute la journée est fait.

Je m’enfermais effectivement, et avec le plus grand soin !

Malheureusement, il n’en était pas, les jours de thème, de même que les jours de version.

Les thèmes étaient dictés par l’abbé ; or, ces thèmes, ils n’avaient point leur traduction latine enfermée dans une cassette quelconque ; il fallait tirer les thèmes du dictionnaire, et ils n’en sortaient pas sans un certain nombre de barbarismes qui contre-balançaient, dans l’esprit de mon professeur, le bon effet des versions, et qui lui faisaient se poser éternellement cette question, à laquelle le pauvre homme mourut sans avoir trouvé de réponse :

— Pourquoi donc cet enfant est-il si fort en version, et si faible en thème ?

Et cependant, les jours de thème, j’avais quatre heures de travail au lieu de deux.

Mais ces deux ou quatre heures de travail me laissaient libre dix ou douze heures chaque jour. J’avais donc, comme on le voit, beaucoup de temps de reste.

Ce temps, je le passais en grande partie chez un armurier qui demeurait de l’autre côté de la place, en face de nous.