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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/42

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

étaient passés ; les libéraux allaient venir ; mais de saint-simonisme, de fouriérisme, de démocratie, de socialisme, de cabétisme, il n’en était nullement question.

Or, ma mère et moi, je ne dirai pas nous étions, mais on nous avait faits bonapartistes.

Bonapartistes, nous ! la chose était curieuse. Bonaparte nous avait disgraciés, exilés, ruinés ; Napoléon nous avait oubliés, reniés, laissés mourir de faim, et nous étions bonapartistes !

Le sentiment qui me faisait repousser, en mon nom et en celui de ma mère, cette qualification, était si vrai, que, toutes les fois que les autres enfants, en me voyant passer, m’appelaient bonapartiste, je mettais bas ma casquette et ma veste, et, me regardant comme insulté, je demandais à l’instant même réparation.

Si l’insulteur était de taille à me la donner, il me la donnait satisfaisante, trop satisfaisante parfois ; mais qu’importe ! le cas échéant, je recommençais le lendemain.

Cette espèce d’acharnement qu’on mettait à nous appeler bonapartistes inquiétait doublement ma mère : d’abord, parce que cela me valait force horions, que jamais je n’étais revenu si souvent à la maison le nez saignant ou l’œil poché que depuis la Restauration, et ensuite parce qu’elle voyait dans cette accusation une espèce de haine ou plutôt de cupidité tendante à lui faire perdre son bureau de tabac, qu’on n’eût certes pas manqué de lui enlever, si cette accusation de bonapartisme se fût accréditée.


XXXIII


Le fusil à un coup. — Quiot Biche. — Parallèle entre lui et Boudoux. — Je deviens braconnier. — On me fait un procès-verbal. — Madame Darcourt plénipotentiaire. — Ce qui empêche que le procès-verbal de Creton n’ait des suites fâcheuses pour moi.

Ce fut dans ces transes que nous passâmes l’hiver de 1814 à 1815, hiver pendant lequel, à l’insu de ma mère, je commençai à faire mes premiers exercices à feu.