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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/47

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

comme je faisais, il sortit du fossé à quatre pattes, se releva à grand’peine, et se remit en chemin clopin-clopant et en s’appuyant sur la crosse de son fusil.

Il s’était donné une entorse.

Cela n’embellissait pas mon affaire.

Je revins chez Montagnon et lui racontai tout.

— Bah ! dit-il, nous en avons bien eu d’autres du temps de l’ogre, et nous n’en sommes pas morts pour cela.

— Mais, enfin, est-ce qu’on ne va pas me mettre en prison ?

Aller en prison fut la grande terreur de ma jeunesse. Un de mes camarades, nommé Alexandre Tronchet, avait une fois été mis en prison douze heures pour cause de maraude. Je l’avais accompagné jusqu’au bout de la ville, et une seule chose m’avait empêché d’être de la partie : j’étais en robe. On pensa que, ne pouvant courir convenablement en cas de déroute, je serais pris et compromettrais la société.

En conséquence, on me chassa honteusement.

— Je n’étais pas complice de fait, mais j’étais complice d’intention.

Quand je vis Alexandre Tronchet en prison, je pensai mourir de peur.

Voilà pourquoi je disais à Montagnon d’un air si piteux :

— Mais, enfin, est-ce qu’on ne va pas me mettre en prison ?

— Si l’on veut te mettre en prison, viens me trouver, mon garçon, et je leur prouverai, le code à la main, qu’ils n’en ont pas le droit.

— Et quel droit ont-ils ?

— Ils ont celui de te mettre à l’amende et de confisquer ton fusil.

— C’est-à-dire votre fusil.

— Oh ! pour cela, je t’en donnerai un autre qui vaudra trente sous.

— Oui, mais l’amende, à combien cela montera-t-il ?

— Ah ! ça, l’amende, c’est une affaire d’une cinquantaine de francs.

— Une cinquantaine de francs ! m’écriai-je. Ils vont demander cinquante francs à ma mère ? Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu !