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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/60

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ceux donc pour lesquels ce retour était, je ne dirai pas une joie, — à cette époque, nul ne pouvait deviner cette marche rapide qui, treize jours après celui où l’on apprenait son débarquement sur le point le plus éloigné de la France, devait conduire Napoléon aux Tuileries ; — ceux pour lesquels, disons-nous, ce retour était, non pas une joie, mais une espérance ; ceux-là, au lieu de se réjouir, parurent doublement attristés, et, baissant la tête, rentrèrent chez eux.

Ma mère n’était pas et ne pouvait pas être de ceux-là. Napoléon ne nous avait pas été assez bienveillant, pour que son retour nous fût le moins du monde agréable. Cependant nous sentîmes parfaitement, elle et moi, que nous étions parmi les menacés.

Que pouvions-nous contre ces menaces, elle une femme, moi un enfant ?

Nous rentrâmes donc chez nous, la tête aussi basse que si nous eussions été bonapartistes.

En effet, à partir de ce jour, aux yeux de la population, nous le fûmes.

La situation n’était point gaie, la qualification n’était rien moins que rassurante.

Il est vrai que, non-seulement le Journal des Débats, mais encore tous les autres journaux présentaient Napoléon comme un bandit fugitif repoussé dans les montagnes, traqué en bête fauve par les populations, ayant manqué sa tentative sur Antibes, repoussé de Digne, qui lui avait fermé ses portes, et déjà aux regrets d’avoir hasardé cette action insensée de vouloir reconquérir la France avec douze cents hommes, lui qui l’avait perdue avec six cent mille !

On attendait donc avec impatience les journaux du 9 et du 10. Sans doute on y apprendrait que l’usurpateur avait été pris, comme l’espérait le Journal des Débats, et que, conformément aux instructions de la proclamation insérée au Moniteur, un conseil de guerre lui avait fait son procès.

Le cas échéant, vingt-quatre heures après, il était fusillé dans quelque cour, dans quelque grange, dans quelque fossé, et tout était fini.