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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/75

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et le concierge se mit à tourner deux ou trois clefs dans deux ou trois serrures différentes.

La porte s’ouvrit.

Dans une espèce de couloir qui séparait la porte de la rue de la chambre du concierge, brillaient des fusils et des baïonnettes.

Ma mère frissonna et me tira à elle.

— N’aie pas peur, lui dis-je.

— Oh ! oh ! dit ma mère, il me semble que vous avez un surcroît de garnison, mon cher monsieur.

— Vous savez pourquoi ? dit le concierge.

— Je me doute que c’est à cause des prisonniers qui sont arrivés ce soir.

— Oui ; comme ce sont de grosses épaulettes, on n’a pas pu leur refuser de les mettre à la pistole ; seulement, on a doublé la garde.

Ma mère me serra la main ; je répondis en serrant la sienne.

— Et que dit-on de leurs affaires ? demanda-t-elle.

— Pas belles, madame Dumas, pas belles… On va les conduire à la Fère ; après quoi, le temps d’assembler un conseil de guerre, de rendre le jugement, de le leur lire, et paf ! tout sera dit.

Le concierge fit le geste d’un homme qui met en joue.

Rien de plus intelligible que cette terrible pantomime.

— Est-ce qu’Alexandre pourra les voir ? demanda ma mère.

— Pourquoi pas ? Ils sont la tous les trois dans la pistole, sur des lits de sangle, doux comme des agneaux. Ils ont déjà appelé Charles plus de dix fois ; il est camarade avec eux comme s’il les connaissait depuis dix ans.

— Oh ! maman, dis-je à mon tour, je voudrais bien les voir.

— Eh bien, va avec M. Richard, tu les verras, va…

Ma mère prononça ce dernier mot le cœur gros, mais avec fermeté cependant ; car, en même temps, elle me lâchait la main, et me poussait vers le concierge.

Je lui fis un signe de la tête et m’élançai du côté de la salle basse en criant :

— C’est moi, Charles !