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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/94

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avez pensé devenir fou, vous avez été un an à revenir à la vie.

Voyons-le à l’Élysée.

Il y arrive à sept heures du matin.

Plus tard, il devine ce qu’il eût dû faire.

Écoutez-le :

— Quand je suis arrivé à Paris, j’étais épuisé. Depuis trois jours, je n’avais ni mangé ni dormi. Je me suis mis au bain en attendant les ministres que j’avais mandés. Sans doute, j’aurais dû aller tout de suite aux Chambres ; mais j’étais harassé de fatigue. Qui pouvait croire qu’elles se déclareraient si vite ? Je suis arrivé à Paris à sept heures ; à midi, les Chambres étaient à l’insurrection.

Puis il passe lentement la main sur son visage, et, d’une voix sourde :

— Après tout, dit-il, je ne suis qu’un homme.

Cromwell et Louis XIV aussi n’étaient que des hommes, sire, et l’un est entré aux Chambres le chapeau sur la tête, l’autre au Parlement le fouet à la main.

Mais l’un était plein de croyance, l’autre plein de jeunesse, tandis que vous, sire, vous n’aviez plus ni jeunesse ni foi.

— Je vieillis, dit-il à Benjamin Constant ; on n’est plus à quarante-cinq ans ce qu’on est à trente. Je ne demande pas mieux que d’être éclairé.

Sire, sire ! où avez-vous donc laissé éteindre le feu de votre génie, que ce soit à Benjamin Constant de vous éclairer ?

Il arrive le 21, et, le 22, il abdique en faveur de son fils.

Et pourquoi abdique-t-il ?

Les Chambres l’ont exigé.

Voyez-vous Napoléon, roi constitutionnel, s’empressant de céder au désir des Chambres !

Sire, l’homme du 22 juin est-il toujours l’homme du 18 brumaire, dites ?

Attendez… Peut-être croit-il tout perdu ; peut-être, si quelque lueur d’espoir renaissait, rallumerait-il à cette lueur la flamme éteinte qui le fait, dans l’obscurité où il se trouve, recourir à la lanterne de Benjamin Constant.

Jérôme arrive le 22 au soir. Il tombe bien : Lucien vient