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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/20

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

les forestiers, tous hommes décidés, d’ailleurs, et prêts à payer de leur personne.

Vers ce temps, ma pauvre mère, en faisant tous ses calculs, nous trouva si pauvres, que, se rappelant notre ami Dermoncourt, et songeant qu’il avait peut-être conservé quelques relations avec le gouvernement, elle se décida à lui écrire pour le prier de faire des demandes à l’endroit de cette solde arriérée de vingt-huit mille cinq cents francs, due à mon père sur les années vii et viii de la République.

La lettre arriva à Dermoncourt vers le 20 ou 22 décembre, c’est-à-dire huit jours avant celui où la conspiration devait éclater.

Il répondit poste pour poste, et, le 28 décembre, nous reçûmes de lui la lettre suivante :

« Ma bonne madame Dumas,

» Quelle diable d’idée vous est donc poussée que je pouvais avoir conservé quelques relations avec ce tas de gueux qui manipulent nos affaires en ce moment-ci ? Non, grand Dieu ! je suis en demi-solde, et ne suis pour rien, ni par le sabre, ni par la plume, dans tout ce qui se passe. Par conséquent, ma chère dame, ne comptez sur moi que pour ce qui dépend de moi, c’est-à-dire pour ce qui dépend d’un pauvre hère qui touche, pour prix de quarante ans de services, trois ou quatre misérables mille francs par an ; mais comptez sur le bon Dieu, qui, s’il regarde ce qui se passe ici-bas, doit être fort en colère de voir la façon dont marchent les choses. Or, comme, de deux choses l’une, ou il n’y a pas de bon Dieu, ou cela ne peut pas durer ainsi, et que, je le sais, vous croyez au bon Dieu, fiez-vous à lui. Un jour ou l’autre, les choses changeront. Demandez à votre fils, qui doit être un grand garçon maintenant, et il vous dira qu’il y a quelque part dans un auteur latin, nommé Horace, je crois, qu’après la pluie vient le beau temps. Gardez donc votre parapluie ouvert encore pendant quelques jours, et, si le beau temps vient, fermez-le, et comptez sur moi.

» Ayez bon espoir ; sans l’espoir, qui reste au fond de leur