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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/216

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je dirai comment elle cessa, et d’avance j’inscris ici cette grande vérité, que ce ne fut par la faute ni de M. de Leuven, ni de madame de Leuven, ni d’Adolphe. 

Il fut convenu que, pour faire connaissance avec la famille Arnault, je viendrais dîner le lendemain : c’était un dîner hors de compte.

On comprend que, pendant les vingt-deux heures qui me séparaient du moment où l’on devait se mettre à table, la grande préoccupation de ma vie fût de dîner avec l’homme qui avait fait Marius à Minturnes, et avec celui qui avait fait Régulus.

J’annonçai cette grande nouvelle à Ernest et à Lassagne ; elle parut être indifférente à Ernest, et toucher médiocrement Lassagne.

J’insistai auprès de ce dernier pour savoir d’où lui venait sa froideur à l’endroit de pareilles illustrations.

Lassagne me répondit simplement :

— Comme homme politique, je ne suis pas du même parti que ces messieurs ; comme opinion littéraire, je ne fais pas grand cas de ce qu’ils font.

Je restai stupéfait.

— Mais, lui demandai-je, vous n’avez donc pas lu Germanicus ?

— Si ; mais c’est très-mauvais !

— Vous n’avez donc pas vu Régulus ?

— Si ; mais c’est médiocre !

Je baissai la tête, plus stupéfait encore.

Puis, enfin, j’essayai de me débattre sous le poids de l’anathème.

— Mais d’où vient le succès de ces pièces ?

— Talma les joue…

— La réputation de ces hommes ?…

— Ils se la font eux-mêmes dans leurs journaux !… Que M. de Jouy, M. Arnault ou M. Lemercier donnent une pièce dans laquelle Talma ne joue pas, et, vous verrez, elle aura dix représentations.

Je rebaissai la tête.