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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/301

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Un mot donc, sur Bonaparte et sa petite cour.

On avait fait grand bruit, nous ne dirons pas, comme on disait autrefois : à Paris et à Versailles, — il n’y avait plus de Versailles en 1802, — mais à Paris et à la Malmaison, des débuts de mademoiselle Georges.

Le premier consul et sa famille s’occupaient beaucoup de littérature, à cette époque.

En fait de poëtes, Bonaparte aimait Corneille et Ossian, les deux extrémités de l’art : Corneille la suprême logique, Ossian la suprême imagination.

Aussi, parmi les poëtes qui figuraient sur le catalogue de sa bibliothèque égyptienne, Corneille et Ossian occupaient-ils la première place.

Cette prédilection pour le barde écossais était si connue, que Bourrienne, en formant cette bibliothèque, devina plutôt qu’il ne lut.

Bonaparte avait écrit Océan.

Ce ne fut pas la faute de Bonaparte si les poëtes lui manquèrent, quoiqu’il proscrivit trois des premiers de son époque : Chateaubriand, madame de Staël et Lemercier.

Bonaparte demandait des poëtes à son grand maître de l’Université, comme il demandait des soldats à son ministre de la guerre. Par malheur, il était plus facile à M. le duc de Feltre de trouver trois cent mille conscrits, qu’à M. de Fontanes de trouver douze poëtes. Aussi, Napoléon fut-il forcé de s’accrocher à tout ce qu’il trouva, à Lebrun, à Luce de Lancival, à Baour-Lormian : tout cela eut des places et des pensions, comme si c’eût été de vrais poètes, — plus des compliments.

— Vous avez fait une belle tragédie, disait Napoléon à Luce de Lancival, à propos d’Hector ; je la ferai jouer dans un camp.

Et, le soir de la représentation, il envoyait un brevet de six mille francs de pension à Luce de Lancival, en ordonnant, « vu le besoin d’argent qu’ont toujours les poëtes, « qu’on lui payât une année d’avance.

Lisez Hector, et vous verrez qu’Hector ne vaut pas les six mille francs une fois payés.