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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/105

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cette libéralité du théâtre me permit de signer un billet de parterre à chacun de mes anciens camarades de bureau. Porcher et sa femme eurent chacun un billet de balcon.

J’eus une petite loge placée sur le théâtre même, et dans laquelle on tenait deux personnes.

Ma sœur eut une première loge où elle donna l’hospitalité à Boulanger, à de Vigny et à Victor Hugo.

Je ne connaissais ni Hugo ni de Vigny ; ils s’étaient adressés à moi en désespoir de cause.

Je fis Connaissance avec tous deux ce soir-là.

M. Deviolaine eut un billet d’orchestre.

Tout le reste de la salle était loué depuis huit jours ; — on vendit une loge au prix exorbitant de vingt louis !

À sept heures trois quarts, j’embrassais ma mère, qui ne se doutait guère, dans le trouble où était son cerveau, quel combat j’allais livrer.

Je rencontrai M. Deviolaine dans le corridor.

— Eh bien j…-f…, me dit-il, tu y es donc enfin arrivé ?

— Que vous avais-je promis ?

— Oui ; mais il faut voir un peu ce que le public pensera de ta prose.

— Vous verrez, puisque vous voilà.

— Je verrai, je verrai, grommela M. Deviolaine ; ce n’est pas bien sûr que je verrai…

Je m’éloignai sans savoir ce qu’il entendait par ces paroles, et je gagnai ma loge, qui, ainsi que je l’ai dit, était sur le théâtre.

De ma loge, mon regard embrassait parfaitement la salle.

Ceux qui ont assisté à cette représentation se rappellent quel magnifique coup d’œil elle offrait : la première galerie était encombrée de princes chamarrés d’ordres de cinq ou six nations ; l’aristocratie tout entière était entassée dans les premières et les secondes loges ; les femmes ruisselaient de diamants.

La toile se leva. — Je n’ai jamais éprouvé de sensation pareille à celle que me produisit la fraîcheur du théâtre venant frapper mon front ruisselant.