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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/278

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le vers ne fut ni applaudi ni sifflé : il n’en valait plus la peine.

Un peu plus loin, Ruy Gomez, après avoir surpris Hernani et doña Sol dans les bras l’un de l’autre, fait, à l’annonce de l’entrée du roi, cacher Hernani dans une chambre dont la porte est masquée par un tableau.

Alors, commence la fameuse scène connue sous le nom de scène des portraits, scène qui a soixante et seize vers, scène qui se passe entre don Carlos et Ruy Gomez, scène que doña Sol écoute muette et immobile comme une statue, scène à laquelle elle ne prend part qu’au moment où le roi veut faire arrêter le duc, et où, arrachant son voile et se jetant entre le duc et les gardes, elle s’écrie :

Roi don Carlos, vous êtes
Un mauvais roi !…

Ce long silence et cette longue immobilité avaient toujours choqué mademoiselle Mars. Le Théâtre-Français, habitué aux traditions de la comédie de Molière ou de la tragédie de Corneille, était on ne peut plus rebelle à la mise en scène du drame moderne, et, en général, ne comprenait ni l’ardeur du mouvement ni la poésie de l’immobilité.

Il en résultait que la pauvre doña Sol ne savait que faire de sa personne pendant ces soixante et seize vers.

Un jour, elle résolut de s’en expliquer avec l’auteur.

Vous connaissez sa façon d’interrompre la répétition, et sa manière de s’avancer sur les quinquets.

L’auteur est debout à l’orchestre ; mademoiselle Mars debout à la rampe.

— Vous êtes là, monsieur Hugo ?

— Oui, madame.

— Ah ! bien !… Rendez-moi donc un service.

— Avec grand plaisir… Lequel ?

— Celui de me dire ce que je fais là, moi.

— Où cela ?