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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/295

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

faut l’avouer, il n’est à peu près irréprochable que dans son infâme poëme de la Pucelle ; et ceux que révoltent l’impiété, la calomnie historique et l’ingratitude nationale, ne sauraient admirer ce chef-d’œuvre, tout chef-d’œuvre qu’il est.

Malgré l’opinion de Cavé, malgré l’ébranlement d’Harel, la lecture aux acteurs n’en demeura pas moins fixée au lendemain : il y avait traité. Je dis il y avait traité, parce que, s’il n’y eût pas eu traité, la lecture n’aurait certainement pas eu lieu.

Seulement, Harel demanda, pour Jules Janin, la permission d’assister à cette lecture.

Janin, avait, à cette époque, tous droits chez Harel, et, quoique je ne me fiasse pas absolument au goût fantasque et capricieux du futur prince des critiques, je ne mis aucune opposition à sa présence. Je possédais, alors, cet effroyable aplomb qui accompagne toujours l’inexpérience et la suprême satisfaction de soi-même.

Il m’a fallu bien des succès pour me guérir de mon amour-propre !

Je lus aux acteurs, la classe d’individus, à tout prendre, la plus apte à juger d’avance l’effet d’une pièce, quoique chaque comédien écoute, en général, l’ouvrage qu’on lui lit au point de vue égoïste, ne se préoccupant que des effets de son rôle, et ne s’alarmant que des effets des rôles voisins. La lecture eut un grand succès ; mais Harel n’en resta pas moins tourmenté d’une idée qui ne se produisit que le lendemain.

Le lendemain, il entra chez moi, avec le premier rayon du jour ; il venait me proposer purement et simplement de mettre Christine en prose.

Ce fut ainsi que, dès le premier moment, Harel se manifesta à moi dans toute sa gloire.

Il va sans dire que je lui ris au nez, et qu’après lui avoir ri au nez, je le mis à la porte.

Le lendemain de ce lendemain, la première répétition eut lieu, comme si aucune proposition n’eût été faite.