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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/34

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Sentinelli, et la scène de Monaldeschi. J’étais dans l’ivresse. On me reçut par acclamation.

Seulement, trois ou quatre des bulletins portaient cette restriction :

« Une seconde lecture ou la communication du manuscrit à un auteur qui ait la confiance de la Comédie.

Le résumé des délibérations fut que la Comédie-Française recevait la tragédie de Christine ; mais, vu les grandes innovations qu’elle contenait, ne s’engageait à la jouer qu’après une nouvelle lecture ou la communication du manuscrit à un auteur qu’elle désignerait elle-même.

Tout cela avait un peu passé comme un brouillard devant moi. J’avais, pour la première fois, vu de près les reines tragiques et comiques : mademoiselle Mars, mademoiselle Leverd, mademoiselle Bourgoin, madame Valmonzev, madame Paradol et mademoiselle Demerson, charmante soubrette pleine de finesse, jouant Molière avec une franchise, et Marivaux avec un fini que je n’ai vus qu’à elle.

Je savais que j’étais reçu, c’était tout ce que je voulais savoir : il y avait des conditions, je les accomplirais ; il y avait des difficultés, je les surmonterais.

Aussi, je n’attendis point la fin des conférences. Je remerciai Taylor ; je sortis du théâtre léger et fier, comme lorsque ma première maîtresse m’avait dit : « Je t’aime ! » Je pris ma course vers le faubourg Saint-Denis, toisant tous ceux que je rencontrais, et ayant l’air de leur dire : « Vous n’avez pas fait Christine, vous ! vous ne sortez pas du Théâtre-Français, vous ! vous n’êtes pas reçu par acclamation, vous ! » Et, dans ma préoccupation joyeuse, je prenais mal mes mesures pour sauter un ruisseau, et je tombais au milieu ; je ne voyais pas les voitures, et je me jetais dans les chevaux. En arrivant au faubourg Saint-Denis, j’avais perdu mon manuscrit ; mais peu m’importait ! je savais ma pièce par cœur.

J’entrai d’un bond dans l’appartement. Ma mère, qui ne me voyait jamais qu’à cinq heures, jeta un cri.