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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/103

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rent les planches du corps de garde de façon à ce qu’elles tombassent dans le feu. Les planches s’enflammèrent rapidement ; en un instant, toute la baraque ne forma plus qu’un immense brasier qu’abandonnèrent, pour rejoindre leurs compagnons, les trois ou quatre retardataires, et qui, en jetant de sinistres lueurs sur la place, brûla une partie de la nuit sans que personne songeât à l’éteindre.

Nous descendîmes, et, assez préoccupés de ce que nous venions de voir, nous achevâmes notre souper.

Vers minuit, nous nous séparâmes. Je pris la rue Vivienne, puis, le passage du Perron étant fermé, la rue Neuve-des-Petits-Champs et la rue de Richelieu.

Dans la rue de l’Échelle, des espèces d’ombres s’agitaient au milieu de l’obscurité. Je m’approchai ; on me cria : « Qui vive ? » Je répondis : « Ami ! » et je continuai de marcher en avant.

C’était une barricade qui s’élevait silencieusement, et comme si elle eût été bâtie par les esprits de la nuit. J’échangeai des poignées de main avec les ouvriers nocturnes et je gagnai le Carrousel.

Derrière la grille du château, on apercevait deux ou trois cents hommes campés dans la cour des Tuileries. Je pensai que cela devait être à peu près ainsi pendant la nuit du 9 au 10 août 1790. Je voulus regarder à travers la grille ; une sentinelle me cria :

— Au large !

Je poursuivis mon chemin.

Sur les quais, tout reprenait sa physionomie ordinaire.

J’atteignis la rue de l’Université sans avoir rencontré une seule personne ni sur le pont Royal, ni dans la rue du Bac.

Rentré chez moi, j’ouvris ma fenêtre, et j’écoutai : Paris semblait solitaire et silencieux ; mais cette tranquillité n’avait rien de réel ; on sentait que cette solitude était habitée, que ce silence était vivant !