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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/118

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

on la plaça derrière les pavés ; on la coiffa de la perruque fraîchement frisée et poudrée ; on enfonça crânement sur la perruque un chapeau à trois cornes, et l’on confia au mannequin la garde de la barricade, avec défense, sous peine de mort, au perruquier de rien changer aux dispositions stratégiques qui venaient d’être prises.

Après quoi, on se dirigea vers la demeure de la Fayette.

La Fayette n’était pas chez lui.

Les jeunes gens laissèrent leurs noms au concierge, et s’apprêtèrent à reprendre leur odyssée en allant frapper à la porte de Casimir Périer.

Mais deux essais infructueux suffisaient à Charras ; il avait laissé ses camarades accomplir leur troisième tentative, qui devait être aussi inutile que les deux premières, et il venait demander à Carrel : « Où se bat-on ? »

C’est ce que bien peu de personnes savaient.

Cependant, on disait généralement que l’on se battait à l’hôtel de ville, et, dans certains moments, on entendait trembler le bourdon de Notre-Dame.

Comme Charras n’avait point d’armes, il pouvait couper en droite ligne par le Palais-Royal et le pont des Arts ou le pont Neuf ; quant à moi, qui avais mon fusil, j’étais obligé de refaire le chemin que j’avais déjà fait, c’est-à-dire de rentrer dans le faubourg Saint-Germain par la place de la Révolution et la rue de Lille.

Charras partit de son côté, et je partis du mien. — Nous retrouverons Charras.

Quant à Carrel, il allait à la Petite-Jacobinière.

Je m’engageai de nouveau dans les rues. 

L’esprit de haine allait grandissant encore : on ne se contentait plus d’effacer les fleurs de lis des enseignes, on traînait les enseignes elles-mêmes dans le ruisseau.

J’entrai un instant chez Hiraux ; — on se rappelle le fils de mon ancien professeur de violon qui tenait le café de la porte Saint-Honoré, qu’il tient encore aujourd’hui. J’y entrai d’abord pour le voir, et, ensuite, parce qu’il me semblait qu’une grande agitation se manifestait chez lui.