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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/178

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! diable c’est différent, dit le général. Alors, qu’on leur donne cent sous par tête.

Charras transmit à ses hommes la proposition du général.

— Ah çà ! dirent-ils, est-ce qu’il croit que nous nous sommes battus pour de l’argent ? »

Baude ordonna une distribution de pain et de viande. La distribution fut faite, et Charras campa avec sa troupe sur la place de l’hôtel de ville.

La tasse de chocolat et la bouteille de vin de Bordeaux de madame Guyet-Desfontaines étaient bien loin. J’éprouvais d’une façon presque aussi irrésistible que le général Dubourg en arrivant à l’hôtel de ville le besoin d’un morceau de pain. J’entrai chez un marchand de vins qui fait le coin de la place de Grève et du quai Pelletier ; je demandai à dîner. Sa maison était criblée de balles, et il était devenu propriétaire d’un joli boulet de huit, et de cinq ou six charmants biscaïens.

Il comptait en faire son enseigne future en les incrustant au-dessus de sa porte, et en écrivant au-dessous de cette collection :

AUX PRUNES DE MONSIEUR.

On sait que le comte d’Artois, comme tous les frères cadets des rois de France, s’appelait Monsieur avant de s’appeler Charles X.

J’affermis mon marchand de vins dans cette heureuse idée, et, en le caressant avec adresse, je finis par obtenir de lui une bouteille de vin, un morceau de pain et un saucisson.

J’étais résolu à ne pas perdre de vue l’hôtel de ville et à garder note de tout ce qui s’y passerait.

Je trouvais que les révolutions avaient un côté prodigieusement récréatif ; — qu’on me le pardonne : c’était la première que je voyais. Maintenant que je suis à la troisième, j’avoue que je trouve cela moins drôle.

Seulement, comme nous avons, dans ces humbles Mémoires, beaucoup de choses à raconter que ne racontera pas cette