Une heure après, j’étais en mesure de me présenter même devant le gouvernement provisoire, si quelqu’un eût pu m’indiquer où siégeait le susdit gouvernement.
Je renvoyai à la maison ma défroque de combattant, et je m’acheminai vers l’hôtel Laffitte. J’étais avide de nouvelles.
J’eus toutes les peines du monde à pénétrer chez l’illustre banquier. Personne ne voulait plus me reconnaître ; j’étais trop bien vêtu.
On discutait ou plutôt on parlait bruyamment dans le salon. M. Sébastiani, annonçait-on, revenait de chez le prince de Talleyrand et en apportait une grande nouvelle. Quelle était cette nouvelle ?
Tout à coup, la porte s’ouvre, et M. Sébastiani, la figure radieuse, jette aux trois ou quatre cents personnes qui encombraient la salle à manger, les antichambres et les corridors, ces paroles textuelles :
— Messieurs, vous pouvez annoncer à tout le monde qu’à partir d’aujourd’hui, le roi de France s’appelle Philippe.
En ce moment, Béranger passa ; je savais qu’il avait dû être pour beaucoup dans cette nomination.
Je lui sautai au cou, moitié pour l’embrasser, moitié pour lui faire une querelle, et, riant et grondant à la fois :
— Ah ! parbleu ! lui dis-je, vous venez de nous faire un beau coup, monsieur mon père.
J’appelais Béranger mon père, et il voulait bien m’appeler son fils.
— Qu’ai-je donc fait, monsieur mon fils ? me répondit-il.
— Ce que vous avez fait ? Pardieu ! vous avez fait un roi !
Sa figure prit cette expression doucement sérieuse qui lui est habituelle.
— Écoute bien ce que je vais te dire, mon enfant, reprit-il ; je n’ai pas précisément fait un roi… non…
— Qu’avez-vous fait, alors ?
— J’ai fait ce que font les petits Savoyards quand il y a de l’orage… j’ai mis une planche sur le ruisseau.
Que de fois, depuis, j’ai réfléchi à cette triste et philosophique parole ! Elle a modifié une partie de mes idées ; elle a