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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/288

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ce n’était pas vrai : le pistolet était chargé. Ce mensonge empêcha probablement que le duc d’Orléans ne tombât sur les marches de l’hôtel de ville.

Quelle récompense reçût celui-là qui venait de sauver la vie au futur roi des Français ?

Je vais vous le dire : — il fut tué à Saint-Merry, et mourut en se maudissant lui-même !

Le duc d’Orléans monta les degrés de l’hôtel de ville d’un pas assez ferme ; il passa près de la mort sans se douter que la mort qui allait le toucher venait de replier son aile.

La voûte sombre du vieux palais municipal, pareille à la gueule immense d’une gargouille de pierre, l’engloutit, lui et son cortège.

Le général la Fayette attendait le prince sur le palier de l’hôtel de ville.

La situation était si grande, que les hommes paraissaient petits.

En effet, qu’était-ce que ce prince de la branche cadette des Bourbons venant faire une visite à l’homme de 1789 ? C’était la monarchie bourgeoise rompant à tout jamais avec la monarchie aristocratique ; c’était le couronnement de quinze ans de conspirations ; c’était le sacre de la révolte par le pape de la liberté.

Nous devrions peut-être nous arrêter à ce grand ensemble ; à côté de lui, tous les détails sont mesquins.

Le duc d’Orléans, la Fayette et quelques intimes formaient le point central d’un immense cercle composé d’hommes d’opinions différentes.

Les uns applaudissaient, les autres protestaient.

Quatre ou cinq élèves de l’École polytechnique étaient là, la tête nue, mais l’épée nue aussi.

Quelques hommes du peuple rugissants passaient leur figure basanée, sombre, ensanglantée parfois, dans les intervalles laissés libres, et d’où on les repoussait doucement, afin que le prince ne fût pas offensé par une pareille vision.

C’était tout bonnement le remords qu’on écartait — avec les égards qui lui sont dus.