Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
NOTES

traires. Je me rendis aussitôt seul chez le commandant de place, tandis que le jeune homme que j’avais amené avec moi et M. Hutin se faisaient ouvrir les portes de la cathédrale, et substituaient au drapeau blanc les couleurs de la nation. M. le commandant de place était avec un officier dont j’ignore le nom ; je lui montrai le pouvoir que j’avais reçu de vous : il me dit qu’il ne pouvait reconnaître les ordres du gouvernement provisoire ; que, d’ailleurs, votre signature ne portait aucun caractère d’authenticité, et que le cachet manquait. Il ajouta de plus qu’il n’y avait à la poudrière que deux cents livres de poudre. Cela pouvait être vrai, puisqu’un ancien militaire me l’affirmait sur sa parole d’honneur. Je sortis pour m’en informer, mais en le prévenant que j’allais revenir. Je craignais peu contre moi l’emploi de la force armée ; j’avais reconnu dans la garnison le dépôt du 53e. J’appris que, dès la veille, tous les soldats s’étaient distribué des cocardes tricolores.

» J’acquis la certitude qu’il y avait dans la poudrière deux cents livres de poudre appartenant à la régie.

» Je revins alors chez M. le commandant de place ; je savais le besoin qu’on éprouvait de munitions à Paris ; je voulais, comme je vous avais promis sur ma parole de le faire, m’emparer de celles qui se trouvaient à Soissons, sauf, comme vous me l’aviez recommandé, à laisser à la ville la quantité nécessaire à sa défense. M. le commandant de place avait alors auprès de lui trois personnes dont deux m’étaient connues, l’une pour le lieutenant de gendarmerie, marquis de Lenferna, l’autre pour le colonel du génie, M. Bonvilliers. Je soumis de nouveau à l’examen de M. le commandant la dépêche dont j’étais porteur ; il refusa positivement de me délivrer aucun ordre, à moins, me dit-il, qu’il n’y fût contraint par la force. Je crus, effectivement, que ce moyen était le plus court : je tirai et j’armai des pistolets à deux coups que j’avais sur moi, et je lui renouvelai ma sommation de me livrer les poudres. J’étais trop engagé pour reculer ; je me trouvais à peu près seul dans une ville de huit mille âmes, au milieu d’autorités, en général, très-contraires au gouvernement actuel ; il y avait, pour moi, question de vie ou de mort. M. le commandant, voyant que j’étais entièrement résolu à employer contre lui et les trois personnes présentes tous les moyens que mes armes mettaient à ma disposition, me dit qu’il ne devait pas, pour son honneur, céder à un homme seul, lui, commandant d’une place fortifiée et ayant garnison.

» J’offris à M. le commandant de lui signer un certificat constatant que c’était le pistolet au poing que je l’avais forcé de me signer l’ordre, et de tout prendre ainsi sous ma responsabilité. Il préféra que j’envoyasse chercher quelques personnes pour paraître céder à une force plus im-