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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/302

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NOTES

serais plaint du général Lobau, et M. Charras aurait menacé de le faire fusiller ; sur quoi, j’aurais bondi de surprise ; M. Charras m’aurait pris par la main, et, me conduisant à l’une des fenêtres de l’hôtel de ville, il m’aurait montré la place en me disant : « Il y a là cent cinquante hommes qui n’obéissent qu’à moi, et qui fusilleraient le Père éternel, s’il descendait sur la terre, et si je leur disais de le fusiller ! »

» M. Charras était, à cette époque, un jeune homme fort peu connu et n’ayant aucune influence. Je ne me rappelle ni l’avoir vu ni lui avoir parlé à l’hôtel de ville. Dans tous les cas, s’il m’eût tenu le langage qu’on lui prête, ou je l’aurais fait arrêter, ou je me serais éloigné sans daigner lui répondre.

». M. Dumas est certainement venu à l’hôtel de ville, puisqu’il l’affirme. Voici ce qu’il a dû y voir :

» Sur la place, sur les quais et dans les rues adjacentes était une population compacte et serrée, attendant les événements, et toujours prête à nous appuyer de son concours. Sur la place, au milieu de la foule, se maintenait un passage de quatre ou cinq pieds de large. C’était une espèce de rue ayant des hommes pour murailles.

» Quand nous avions à donner un ordre exigeant l’appui d’une force quelconque, nous en confiions, en général, l’exécution à un élève de l’École polytechnique. L’élève descendait le perron de l’hôtel de ville. Avant d’être parvenu aux derniers degrés, il s’adressait à la foule, devenue attentive, et prononçait simplement ces mots : Deux cents hommes de bonne volonté ! Puis il achevait de descendre, et s’engageait seul dans le passage. À l’instant même, on voyait se détacher des murailles, et marcher derrière lui, les uns avec des fusils, les autres seulement avec des sabres, un homme, deux hommes, vingt hommes, puis cent, quatre cents, cinq cents. Il y en avait toujours le double de ce qui avait été demandé.

» D’un mot, d’un geste, je ne dirai pas en une heure, mais en une minute, nous eussions disposé de dix, de quinze, de vingt mille hommes.

» Je demande ce que nous pouvions avoir à craindre de M. Hubert, de M. Charras et de ses prétendus cent cinquante prétoriens ? Qu’il me soit permis d’ajouter que des hommes qui étaient venus siéger à l’hôtel de ville dès le 29 juillet avaient prouvé par là même qu’ils n’étaient pas d’un caractère facile à effrayer. Pendant les jours de combat, le gouvernement avait décerné des mandats d’arrêt contre sept députés au nombre desquels je me trouvais, ainsi que plusieurs de mes collègues de la commission. Charles X avait même annoncé, le lendemain, que nous étions déjà fusillés. Quand nous n’avions pas reculé devant le